Pour bien comprendre les répercussions financières à long terme de la réparation et du remplacement de leurs actifs, les propriétaires d’infrastructures doivent en évaluer les coûts associés. La gestion d’actifs est désormais pratique courante pour plusieurs maitres d’ouvrage et municipalités du Canada qui cherchent à déterminer la meilleure façon de dépenser leurs budgets annuels d’infrastructure.
Une catégorie n’est toutefois pas encore prise en compte dans l’évaluation des coûts relatifs à la gestion des actifs : les changements climatiques. Selon le rapport : « L’adaptation du Canada aux changements climatiques dépend de deux éléments clés, c’est-à-dire la connaissance de l’ampleur de leurs coûts et la méthodologie nécessaire au calcul de ces derniers. »
Au fait du besoin, le Bureau de la responsabilité financière de l’Ontario (BRF) a conçu un système visant à saisir les coûts des répercussions, nouvelles et futures, des changements climatiques sur l’infrastructure publique, et c’est à WSP Canada qu’il a confié la tâche d’évaluer les relations d’ingénierie requises. L’objectif était de quantifier, grâce aux meilleures données disponibles, les coûts supplémentaires que les changements climatiques engendreront pour ces actifs de sorte que leurs propriétaires puissent adapter leur budget en conséquence. Ainsi, le rapport de synthèse du BRF se veut une introduction au projet Chiffrer les impacts du changement climatique sur l’infrastructure publique (ICIP) et le rapport de WSP expose les grandes relations d’ingénierie.
Le projet a permis de combler d’importantes lacunes en matière de connaissances. Certes, il est bien connu au Canada que les infrastructures physiques représentent l’un des secteurs les plus susceptibles de souffrir des répercussions des changements climatiques et qui a le plus à gagner sur le plan de l’adaptation, toutefois les décideurs saisissent mal l’ampleur potentielle de ces impacts et de leur ventilation à l’échelle provinciale et territoriale ou au sein des classes d’actifs. L’adaptation du Canada aux changements climatiques dépend de deux éléments clés, c’est-à-dire la connaissance de l’ampleur de leurs coûts et la méthodologie nécessaire au calcul de ces derniers.
Méthodologie adoptée pour l’analyse
Le BRF a élaboré un modèle de détérioration de l’inventaire des biens provinciaux (PAID) (tiré du ministère de l’Infastructure de l’Ontario) afin d’évaluer de quelle manière l’infrastructure publique risque de se détériorer au fil du temps. Ce modèle prend en compte les activités de réfection, de fonctionnement et d’entretien, de renouvellement et de modernisation, et est conçu pour témoigner des pratiques de gestion des actifs employées dans la province pour fournir des estimations et des prévisions concernant l’état du déficit d’actifs et d’infrastructures. Avant le projet ICIP, le modèle n’était pas conçu pour tenir compte des répercussions des changements climatiques.
Précipitations extrêmes
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Canicules
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Cycles gel/dégel
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Nous avons d’abord retenu trois risques climatiques pour l’analyse : les précipitations extrêmes, les canicules et les cycles gel/dégel.
Pour évaluer leurs impacts, WSP a fait le lien entre certains indicateurs climatiques pertinents et les coûts d’infrastructure (ou « élasticités climatiques ») sur la base de prévisions climatiques pour la province, de la consultation d’experts et de pratiques exemplaires. Ces élasticités climatiques dépendent des données climatiques et peuvent être directement intégrées dans le modèle PAID afin d’estimer les répercussions des changements climatiques sur quatre types de coûts distincts.
La série de coefficients d’élasticité climatique permet de mesurer la réponse relative des paramètres de coûts d’une composante d’actif face à un changement sur le plan d’un indicateur climatique. Il est possible d’interpréter les élasticités climatiques comme une relation directe entre l’évolution d’un indicateur climatique en fonction de changements climatiques et les variations prévues (augmentation ou diminution) de la durée de vie et des coûts pour un actif ou une composante donnée. Dans ce cadre, la variation relative d’un paramètre de coût est dérivée d’une approche ascendante (et donc en commençant par les impacts sur les composantes d’un actif) relative à l’interaction d’un risque climatique avec un actif donné. En d’autres mots, la variation d’un paramètre de coût au niveau d’un actif correspond au cumul de la variation du coût de ses composantes.
Voici les quatre types de coûts examinés :
Durée de vie utile
Quelle serait la variation de durée de vie utile selon l’évolution de chaque risque climatique pour chaque actif ou composante?
Dépenses de fonctionnement et d’entretien
Combien cela coûterait-il annuellement, en pourcentage de la valeur actuelle de remplacement, pour l’exploitation et le maintien du taux de détérioration attendu dans des conditions climatiques futures?
Coûts de rénovation
Combien cela coûterait-il de moderniser un actif existant pour le rendre résistant aux changements climatiques? Il est fort probable que ces coûts soient engendrés afin de réparer les dommages causés à certains composants d’un système (p. ex. des réparations au niveau d’une section de tuyau) par les impacts des changements climatiques.
Coûts de renouvellement des actifs
Quels seraient les coûts additionnels engendrés par la conception d’un tout nouvel actif résistant aux changements climatiques et ayant des fonctions correspondant à la même période qu’auparavant? Un renouvellement complet de l’actif peut être nécessaire en raison de l’état du système ou d’un manque de capacité. Il est probable que le renouvellement de l’actif soit plus coûteux que sa modernisation.
Grâce aux risques climatiques, aux paramètres de coût et aux données climatiques les plus récentes disponibles, nous avons été en mesure de fournir des prévisions de coût pour des bâtiments, des routes, des infrastructures de transport collectif, des ponts, des ponceaux, ainsi que des infrastructures de gestion de l’eau pluviale et des eaux usées.
Prenons l’exemple des routes reconnues pour être vulnérables aux répercussions engendrées par les trois risques climatiques retenus. WSP estime que ces dernières verront une réduction de 43 % de leur durée de vie utile et une augmentation de leurs coûts d’exploitation et d’entretien (de 5 à 9 % de la valeur de l’actif) et de leurs coûts de rénovation et de renouvellement (respectivement 52 % et 107 %). Ces augmentations de coût et la réduction de la durée de vie utile démontrent l’importance d’allouer davantage de fonds à l’entretien, par exemple, effectuer plus de remplissage de fissures au niveau des chaussées asphaltées afin de prévenir l’infiltration d’eau ou ajouter des additifs à ciment au béton dans le cadre de travaux de renouvellement.
Comprendre les limites
Il convient de souligner que, bien que cette approche soit très novatrice, elle doit être perçue comme une première étape en vue d’affiner l’analyse au niveau des actifs et présente certaines limites :
Granularité et disponibilité des données
Le projet ICIP intervient au niveau du portefeuille d’actifs et utilise les meilleures données disponibles au moment de sa réalisation. Bien que les résultats soient raisonnables sur ce plan, la méthodologie actuelle nécessiterait d’être affinée pour un emploi sur le plan de l’actif.
Points de bascule
« Le projet ICIP suppose que les élasticités climatiques demeurent constantes dans le temps, ce qui semble indiquer une relation linéaire entre les changements climatiques et leurs coûts. » Il existe pourtant une multitude de facteurs, indépendants du climat, qui peuvent influencer la détérioration d’un actif donné. Ces variables, telles que des changements dans la fonction d’un actif ou des ajustements quant à sa demande, pourraient faire en sorte qu’un actif soit plus vulnérable aux impacts climatiques accrus dans le temps. Ainsi, l’analyse n’a pas tenu compte de la possible évolution de l’utilisation d’un actif au cours de son cycle de vie ni de l’incidence accrue ou réduite des changements climatiques sur celui-ci qui en résulterait.
Cumul des coûts associés aux changements climatiques
« Le projet ICIP examine individuellement les coûts de trois risques climatiques, puis les additionne pour obtenir une incidence cumulée totale. Cependant, le cumul réel des impacts de ces trois risques et d’autres événements climatiques qui ne sont pas pris en compte dans l’analyse devrait se révéler plus important que la somme d’une simple addition des impacts. Un événement pourrait par exemple affaiblir les composantes d’un actif, ce qui risquerait de le rendre plus vulnérable aux autres risques climatiques. »
Rénovations écoénergétiques
Le projet ICIP ne tient compte que de l’adaptation aux changements climatiques, et non de leur atténuation. Toutefois, les gestionnaires d’actifs pourraient conjuguer les efforts d’adaptation à ceux d’atténuation, comme en procédant à des rénovations écoénergétiques pour améliorer la performance d’un bâtiment ou en choisissant des matériaux qui émettent une quantité moindre de dioxyde de carbone.