Stephen Duckett croit que la télésanté doit prendre de l’expansion, mais sans sacrifier la qualité des soins. « Si nous sommes d’avis qu’il faut assurer la continuité des soins pour offrir à une personne atteinte de maladie chronique de bons soins de première ligne – et c’est ce qu’indiquent les études -, alors nous devons veiller à ce que la télésanté s’intègre dans ce système, et non pas qu’elle le court-circuite. » Le Grattan Institute a publié une série de recommandations à l’intention du gouvernement australien*, dont certaines ont trait à la mise en place de structures de paiement et de mesures incitatives visant à s’assurer que les fournisseurs de services de télésanté offrent aussi des services en personne, pour que les patients puissent voir leur médecin habituel plutôt qu’un médecin travaillant uniquement en ligne, qu’ils n’ont jamais rencontré. Le premier rendez-vous devrait toujours avoir lieu en personne.
Subsiste évidemment le risque que la télémédecine se limite à régler une certaine catégorie de problèmes d’accès – reliés à l’emplacement ou aux aspects de commodité – au détriment d’une autre, en rapport cette fois-ci avec l’âge, la pauvreté et la connectivité. « Le mieux ne doit pas être l’ennemi du bien, souligne Stephen Duckett. Il ne faut pas abandonner l’idée d’améliorer l’accès pour la majorité juste parce qu’on ne résout pas les difficultés de tout le monde. Si nous décidons que la télésanté est une bonne chose, il nous faut alors trouver des stratégies pour veiller à ne laisser personne derrière. »
On a tendance à croire que ce sont surtout les personnes âgées qui se trouveraient exclues des services numériques, mais nombre d’entre elles se sont familiarisées avec la technologie durant le confinement, pour contrer l’isolement social. En réalité, l’obstacle le plus difficile à abattre est la pauvreté. En plus de présenter les taux les plus élevés de maladies chroniques, les personnes défavorisées ont aussi plus de chance de se trouver du mauvais côté du fossé numérique. C’est ce fossé que tente de combler le Howard University College of Medicine de Washington, D.C., dans le cadre d’un projet d’innovation voué à la création de solutions de télésanté adaptées aux besoins de populations mal desservies sur le plan médical*. (Michael Crawford, vice-doyen de la Howard University, parle de ce projet dans la dernière édition de la revue de WSP The Possible*.)
Depuis l’arrivée de la COVID, on a aussi assisté à l’expansion de la pratique de la télémédecine pour les patients hospitalisés : les médecins observent les patients à distance et communiquent avec eux à l’aide de caméras, de microphones et d’écrans. Banner Health*, un organisme de soins de santé à but non lucratif établi en Arizona et possédant 28 hôpitaux dans six états américains, avait déjà installé une poignée de ces systèmes appelés « eICU » (pour electronic intensive care unit – unité de soins intensifs à distance), afin que les patients les plus gravement malades aient accès à un plus vaste éventail de médecins spécialistes. Lorsque la pandémie a frappé, Banner Health a procédé à l’installation supplémentaire de centaines de ces systèmes en quelques semaines seulement. « Nous avons fait cela pour assurer la sécurité de nos cliniciens, explique Steve Eiss, directeur général des services aux installations, et pour réduire l’utilisation d’équipement de protection individuelle – ainsi, même si un médecin se trouvait juste à 15 m d’un patient infecté, plus loin dans le corridor, il était dans un environnement plus sûr. On constate maintenant que les médecins sont de plus en plus à l’aise avec cette façon de traiter les patients. » Il pense que cette approche continuera d’être utilisée après la COVID, mais cette fois pour des raisons d’efficacité et d’accès. « Nous pourrions avoir un cardiologue installé dans un lieu central qui voit des patients de trois hôpitaux, ou de 30 hôpitaux. Ce spécialiste pourrait par exemple consacrer les trois quarts de son temps aux consultations avec les patients de son hôpital, et le reste du temps agir comme spécialiste de garde (en rotation) pour appuyer d’autres établissements. Ce système permettrait d’économiser du temps de déplacement et améliorerait l’accès aux soins pour les installations rurales ou éloignées. »
Participer à une consultation vidéo peut nous paraitre futuriste, mais ne représente que la première étape de l’évolution de la télémédecine. Le Princess Margaret Cancer Centre* de Toronto, l’un des meilleurs centres de cancérologie au monde, a réussi depuis le début de la pandémie à transférer en ligne 75 % des rendez-vous des patients des cliniques externes. Le directeur de conception du programme Smart Cancer Care, Mike Lovas, dit que son équipe cherche des moyens de développer l’approche. « La télémédecine a révélé une partie de son potentiel, mais à ce jour on ne s’est servi de cet outil que de façon grossière, précise-t-il. Comment pourrions-nous offrir une connexion continue, en temps réel, avec le système de soins de santé? Après tout, les patients vivent continuellement des préoccupations, des symptômes, ou une dégradation de leur état, et pas seulement au moment des rendez-vous fixés à l’avance. La vie, c’est surtout ce qui se passe entre les visites à l’hôpital et à l’extérieur de l’hôpital, et nous devons en tenir compte. »