Parmi les enjeux liés aux changements climatiques ayant des effets immédiats, l’eau arrive en tête de liste. Cela s’explique par le fait que nous sommes susceptibles de voir trop de précipitations pendant certaines périodes, et pas assez pendant d’autres, ce qui aura d’énormes répercussions sur l’industrie, les populations humaines et l’environnement. Néanmoins, les obstacles qui doivent être éliminés sont de nature non pas technique, mais plutôt juridique et réglementaire. Nous le constatons dans trois des grandes tendances en matière de gestion de l’eau dans un contexte de changements climatiques.
Voir grand dans le stockage de l’eau pour les périodes de sécheresse
Depuis les temps anciens, les humains stockent de l’eau pendant les périodes d’abondance pour l’utiliser pendant les périodes de sécheresse. Les solutions de stockage peuvent varier en volume, allant des réservoirs des barrages hydroélectriques ou d’eau potable municipale à une simple citerne souterraine de maison. Vu l’augmentation probable des phénomènes climatiques extrêmes, nous pouvons nous attendre à des périodes de pluie et de sécheresse intenses. L’humanité doit tirer parti de cette tendance en stockant une plus grande quantité d’eau reçue pendant les périodes de fortes précipitations.
Il y a des exemples de cela en Arabie saoudite, souvent considérée comme un pays sec, mais qui connaît aussi ses périodes de précipitations au courant de l’année. En fait, pendant les mois pluvieux, les inondations y sont la plus grande cause de décès. Les Saoudiens ont donc concentré leurs efforts sur le détournement et le réacheminement des eaux de crue pour protéger les habitants, les immeubles et les infrastructures. Ils commencent même à envisager les eaux de crue comme une ressource à recueillir et à stocker en vue des périodes de pénurie.
Le stockage est une solution incomplète au problème de l’atténuation des variations d’amplitude entre les périodes de crue et de sécheresse. Il s’agit tout de même d’un énorme levier (qui n’a pas encore été utilisé efficacement) pouvant apporter des avantages importants. Bien que l’aspect physique ou technique du stockage de l’eau se heurte à certains obstacles, les principes de base sont bien compris.
Bien sûr, le stockage a ses limites si l’apport en eau est faible. En Afrique du Sud, par exemple, de nombreux réservoirs d’eau sont à moins du quart de leur capacité. Aux endroits où l’approvisionnement est faible, les autorités pourraient devoir envisager de donner de l’ampleur aux solutions de rechange comme le dessalement de l’eau de mer ou des eaux souterraines saumâtres, ou encore la réutilisation des eaux usées.
Les échanges d’eau virtuelle : une idée imaginative qui a du potentiel
L’un des aspects les plus difficiles de la mise en œuvre d’une stratégie hydrique, c’est que ce genre de stratégie nécessite des investissements initiaux conséquents, incluant des tuyaux, des vannes, des pompes, des systèmes de purification et des réservoirs. Ainsi, il vaut la peine d’envisager d’autres moyens pour transporter l’eau, notamment des moyens virtuels plutôt que physiques. L’un de ces moyens est l’échange d’« eau virtuelle ».
L’« eau virtuelle », terme inventé par le géographe britannique Tony Allan, est le flux d’eau invisible qui a lieu lorsque des biens dont la production exige de l’eau sont échangés d’un endroit à un autre. Nous voyons cela dans la péninsule arabique, où l’Arabie saoudite, dont les ressources en eau sont rares, ne peut élever de bovins sur une grande partie de son territoire, puisqu’il s’agit d’une production qui exige beaucoup d’eau. Les Saoudiens ont donc délégué une partie de leur élevage au Yémen, pays relativement riche en ressources hydriques et, en retour, les Saoudiens cultivent plus de blé, culture qui n’exige pas autant d’eau que le bétail.
Un autre exemple d’échange d’eau virtuelle a lieu au Chili, où une société minière dont les activités se déroulent au sommet des Andes a besoin d’un accès à l’eau, qu’elle veut obtenir à une rivière coulant à proximité. Cependant, des collectivités en aval dépendent de l’eau de cette rivière et ont des droits à cet égard. Pour compenser, la société minière construit actuellement une usine de dessalement sur la côte afin de fournir de l’eau potable à ces collectivités. Grâce à cet échange virtuel, la société minière a épargné le coût du transport de l’eau sur de longues distances, et les collectivités côtières ont accès à leur propre approvisionnement en eau de grande qualité.
Une troisième approche tire parti du fait que de nombreuses municipalités dans le monde dépensent beaucoup d’argent pour traiter l’eau afin de la rendre potable, mais qu’une grande partie de cette eau disparaît dans des fuites de leur système de canalisations. À l’échelle mondiale, les réseaux de canalisations d’eau potable perdent en moyenne de 40 à 50 % de leur eau en raison de fuites, et dans certains pays, ce pourcentage atteint 80 %.
Johannesburg, l’une des nombreuses villes confrontées à un problème de fuites, a organisé un échange virtuel avec deux entreprises locales qui utilisent des quantités importantes d’eau. Ces entreprises ont accepté de fournir l’équivalent de plusieurs millions de dollars à la société locale de distribution d’eau pour la réparation des canalisations. Grâce à cette aide, la société a été en mesure de réduire les pertes d’eau de 5 %, et c’est une économie d’eau qui se réalisera année après année. En retour, les entreprises ont accès à une plus grande partie des ressources en eau de la municipalité. La ville a bénéficié d’une réduction du gaspillage d’eau potable et les entreprises ont accès à de l’eau à un coût inférieur.
Un obstacle aux échanges d’eau virtuelle est que dans la plupart des pays développés, l’eau est considérée comme un bien public. Si l’eau n’est pas privée, il est difficile de faire des échanges. Une politique nationale de l’eau, comme celle de l’Australie, facilite des ententes novatrices et de grande envergure. De nombreux agriculteurs australiens ayant subi les ravages des feux de forêt ont cessé d’élever du bétail et ont vendu ou loué leurs droits d’utilisation de l’eau à des zones urbaines. Cela leur donne une source de revenus pendant qu’ils tentent de cultiver d’autres types de produits qui prennent moins d’eau.
Les échanges d’eau virtuelle exigent de l’imagination et la capacité d’apparier efficacement un besoin et une ressource en eau à deux endroits différents. Pour avoir une idée de ce qui fonctionne, on peut penser au marché du carbone, où un prix est établi pour les crédits de carbone. À l’heure actuelle, il n’y a pas de mécanisme d’échange de crédits d’eau virtuelle, mais en établir un ouvrirait la voie à de nombreuses possibilités d’échanges.
La réutilisation bénéfique de l’eau s’ajoute aux solutions
Une troisième tendance touchant les solutions de gestion de l’eau dans un contexte de changements climatiques consiste à convertir les eaux usées en eau qui peut être utilisée à d’autres fins, processus appelé « réutilisation bénéfique de l’eau ». De nombreuses entreprises recueillent l’eau de pluie sur leur toit et l’utilisent à leurs propres fins, notamment dans les tours de refroidissement ou comme approvisionnement d’appoint pour les chaudières. Aujourd’hui, la tendance est de traiter les eaux usées industrielles et de leur trouver une utilisation bénéfique ailleurs, par exemple en agriculture.
Un système d’échange de crédits peut permettre d’augmenter le nombre de réutilisations bénéfiques. Dans plusieurs pays, une entreprise peut obtenir des crédits pour la réutilisation bénéfique de l’eau si elle en fournit à des fermes ou à des collectivités. L’entreprise peut recevoir de l’eau nouvelle d’une source comme un réservoir, en échange d’une quantité égale qu’elle fournit pour une réutilisation bénéfique.
Dans certaines parties du monde, les eaux usées municipales sont traitées de façon à permettre leur réutilisation pour irriguer le gazon, les vergers, les vignobles et les cultures, ainsi que pour l’alimentation de la nappe souterraine, l’injection pour prévenir l’intrusion d’eau saline et d’autres fins non potables.
Rendre l’eau disponible dans le monde entier dans un climat en changement exige de l’imagination et une volonté de repenser les obstacles réglementaires et juridiques. Au fur et à mesure que la sensibilisation à la réutilisation bénéfique, aux possibilités de stockage élargies et aux échanges d’eau virtuelle continuera, d’autres solutions seront élaborées, ce qui permettra d’accroître la sécurité de l’eau pour une plus grande partie de la population mondiale.