Il y a sous nos pieds un monde inconnu et incertain. Ainsi, tout projet de construction donnant lieu à des travaux d’excavation majeurs mettra au jour toutes sortes de difficultés et de risques. Une étude de site approfondie nous permet de gérer les risques de façon proactive, puisqu’elle nous renseigne sur les conditions souterraines probables. C’est la clé d’un bon départ et de la stabilité d’un projet, pour lequel la probabilité de surprises indésirables est faible.
Ces surprises indésirables sont parfois très graves. L’instabilité peut entraîner des conséquences financières et sociales allant des dommages à l’équipement aux répercussions négatives sur la santé et la sécurité des travailleurs, en passant par la perturbation du déroulement du projet. Il est donc essentiel d’acquérir une compréhension approfondie du contexte géologique et hydrogéologique à l’étape de l’élaboration du projet, au moyen d’une démarche d’étude progressive du site.
Les projets de construction souterraine comportent naturellement des difficultés différentes selon leur emplacement et leur contexte. Lorsqu’il s’agit de travaux d’aménagement de tunnels, il faut comprendre la résistance du sol et comment il réagira pour pouvoir concevoir l’ouvrage de façon appropriée.L’analyse de stabilité et la conception d’installations de soutènement de structures souterraines sont toutefois des domaines de pratique très exigeants, qui nécessitent une réflexion attentive et une expertise spécialisée.
Un éventail complexe de mécanismes d’instabilité
L’aménagement de tunnels, dans la roche comme dans le sol, exige l’étude d’un éventail complexe de mécanismes d’instabilité.
Pour les tunnels aménagés dans la roche, l’évaluation des problèmes d’instabilité repose sur trois variables clés : la résistance de la masse rocheuse, la contrainte et l’eau. À faible profondeur, la stabilité de la masse rocheuse dépend généralement de la présence de fractures. À une plus grande profondeur, le comportement de la masse rocheuse est généralement déterminé par la contrainte qu’elle subit. La pression exercée par l’eau souterraine dans les fractures accroît la contrainte et l’instabilité de la masse rocheuse.
Selon le degré de fracturation de la masse rocheuse et l’intensité de la contrainte qu’elle subit, les types d’instabilité suivants peuvent survenir dans les excavations souterraines :
- instabilité déterminée par la structure et causée par des discontinuités préexistantes (défauts comme les strates, les joints et les failles);
- instabilité causée par la fracturation ou le déplacement de la roche subissant une contrainte;
- combinaison d’un mécanisme induit par la contrainte et de discontinuités préexistantes.
Vu cette grande variété d’instabilités potentielles, il est important d’élaborer un programme d’études géotechniques et hydrogéologiques afin d’obtenir les données nécessaires pour établir et évaluer l’instabilité et pour éclairer la conception d’une structure stable.
Dans la première catégorie d’instabilité (déterminée par la structure), l’intersection des discontinuités préexistantes forme des blocs qui peuvent tomber ou glisser s’ils sont coupés par les limites de l’excavation. Le mouvement de ces blocs de roche dépend grandement de leur géométrie et de la résistance au frottement de leur surface.
Les deuxième et troisième catégories d’instabilité sont déterminées par la fracturation de la roche induite par les contraintes et par les mouvements connexes. Les excavations souterraines perturbent l’équilibre des contraintes et imposent une nouvelle répartition de celles-ci. Selon la géométrie de l’excavation et les caractéristiques des contraintes existantes et nouvelles, l’ampleur et la distribution des contraintes varieront autour de l’excavation. Lorsque la nouvelle contrainte répartie dépasse la force de rupture de la roche intacte, il y a fracturation. Si les fractures induites par les contraintes se situent à la limite de l’excavation ou à l’endroit d’une discontinuité préexistante, des blocs amovibles peuvent se former.
Des perspectives approfondies grâce aux données
L’étude théorique est la première étape de tout programme d’étude de site. Elle doit cerner les problèmes éventuels sur les plans géotechnique, hydrogéologique et de la contamination du sol et comprendre un examen de la documentation et des données existantes. Si l’étude théorique est bien faite, les données recueillies à cette étape peuvent avoir un important effet positif sur la portée et sur le coût de l’étude de site.
Au bout du compte, les données que l’étude de site doit permettre d’obtenir ont trait à l’identification des unités pédologiques et lithostratigraphiques susceptibles d’être présentes, à leurs caractéristiques géotechniques et hydrogéologiques, à l’ampleur et à l’orientation du champ de contrainte du site, au niveau et à la pression potentiels de l’eau souterraine en profondeur, ainsi qu’à la qualité du sol et de l’eau souterraine.
Lorsque nous concevons un programme d’étude de site pour des travaux de construction souterraine, il est important de connaître les limites des essais que nous pouvons effectuer et de ce que nous pouvons pleinement comprendre. Comme nous ne pouvons pas faire d’essais sur l’ensemble du volume de sol autour d’une excavation souterraine pour en mesurer la résistance, nous en faisons sur de petits échantillons recueillis dans le cadre de l’étude de site, puis nous étendons ces propriétés à l’ensemble du site en fonction de corrélations empiriques et de classifications.
Nous ne pouvons pas non plus mesurer directement l’ampleur et l’orientation des contraintes in situ. Nous mesurons donc d’autres propriétés et formulons des hypothèses concernant l’incidence des contraintes sur celles-ci. Pour les propriétés difficiles à mesurer directement, nous formulons des hypothèses fondées sur des corrélations établies au moyen d’autres essais. Les essais en laboratoire doivent être suffisamment larges pour permettre de déduire la résistance à partir de l’éventail de conditions de contrainte in situ attendues à l’horizon d’aménagement du tunnel.
Nous devons également être conscients du fait que les activités d’étude de site peuvent perturber le matériel sur lequel nous effectuons des essais. À titre d’exemple, la perturbation imposée au moment de la mesure de la contrainte exercée sur la roche peut avoir une incidence sur la fiabilité des résultats, ce qui nécessite une réflexion supplémentaire concernant la façon de réduire l’impact au minimum à l’étape de la planification.
Il faut également prêter une attention particulière à la perturbation des échantillons de sol pour assurer la qualité des résultats des essais. Cela comprend la préservation de leur teneur en humidité, qui devrait idéalement demeurer inchangée durant l’échantillonnage et les essais. Nous devons aussi déterminer si les essais de résistance du sol doivent être effectués dans des conditions drainées ou non drainées. La prise de mesures in situ à l’aide d’instruments comme un pénétromètre à cône, un piézocône ou un pressiomètre peut aider à écarter ces effets d’échelle des essais et de perturbation des échantillons.
De nouveaux outils pour améliorer la « vision » souterraine
Notre capacité de « voir » sous la surface du sol et de comprendre les conditions de sol sera grandement facilitée par l’évolution rapide des méthodes non destructives, du balayage de carotte de forage et des technologies numériques. La tomographie sismique, l’imagerie de la résistivité géoélectrique, la technologie d’imagerie hyperspectrale avancée et les méthodes de visualisation tridimensionnelle présentent un grand potentiel. Les méthodes de tomographie couvrent un volume de sol beaucoup plus grand que le volume pouvant être exposé à l’aide de forages, sans perturber les unités pédologiques et lithostratigraphiques. Leurs résultats peuvent être utilisés pour caractériser le sol qualitativement et quantitativement. De plus, le balayage de carotte et les techniques d’imagerie géophysique des forages comme la reconstitution acoustique et la diagraphie sonique sont des moyens utiles pour améliorer l’interprétation des conditions présentes dans la carotte récupérée, ainsi que dans les parois du forage et dans le sol adjacent.
L’adoption de ces nouvelles technologies et de ces méthodes améliorées nous permettra de mieux comprendre le contexte géotechnique et hydrogéologique d’un projet, mais notre connaissance de ce qui se trouve sous nos pieds demeurera intrinsèquement limitée. Une étude de site bien conçue est un investissement important dans la gestion du risque que pose ce monde inconnu et constitue une étape essentielle à la réalisation d’un projet de construction souterraine réussi.
À propos des Auteurs
Les McQueen est associé principal au bureau de Sydney (Australie) de WSP. Il compte plus de 38 ans d’expérience en conception de soutènement de tunnel axée sur la mécanique des roches et en géologie appliquée à des projets civils et miniers. Les a été consultant dans le cadre de projets de tunnels de transport, d’hydroélectricité et de services publics en Australie, à Hong Kong et aux Philippines, de l’étape de la planification de la faisabilité à celle de la construction (tunnelier, machine de traçage, forage et dynamitage), en passant par la proposition et par la conception détaillée.
Mahdi Zoorabadi est ingénieur géotechnicien principal au bureau de Newcastle (Australie) de WSP. Consultant en contrôle du sol et en mécanique des roches, il se spécialise dans les domaines de l’analyse de la roche, de la mesure de la contrainte exercée sur la roche, de l’analyse des eaux souterraines, de la modélisation numérique, de la stabilité des pentes rocheuses et de la conception de soutènement primaire et secondaire pour les structures souterraines. Modélisateur numérique d’expérience, Mahdi fournit des services de consultation en mécanique des roches dans le cadre de projets civils et miniers depuis plus de 18 ans. Il participe activement à la recherche en collaborant, à titre de maître de conférence adjoint, avec la School of Mining Engineering de l’Université de la Nouvelle-Galles du Sud.
* Ce travail a été effectué par les professionnels de Golder qui se sont joints à WSP dans le cadre d’une acquisition réalisée en 2021.