Quelles sont les implications de la Covid-19 pour le secteur du cotravail?

Si le modèle WeWork, qui propose une communauté informelle à ultra-haute densité de travailleurs, se révèle inadéquat en période de pandémie, la flexibilité offerte par le concept du cotravail s’avère par contre tout à fait pertinente. Les espaces de cotravail dans leur forme actuelle sont nés des cendres de la crise financière mondiale et ont connu leur essor en offrant un domicile aux salariés licenciés et aux nouveaux entrepreneurs. Mais ni les travailleurs autonomes ni les entreprises en démarrage ne sont dans les faits à l’origine de l’impressionnante croissance annuelle moyenne enregistrée par le secteur du cotravail, qui atteint 23 % depuis 2010 (source : JLL [en anglais seulement]). Les entreprises ont aussi commencé à s’y installer, au début pour tirer avantage de ce milieu bouillonnant d’idées puis, à une beaucoup plus vaste échelle, pour profiter des baux de location à court terme et des installations sans tracas de ce modèle commercial, qui propose des espaces comme on offre un service.

Il est vrai que les modèles d’affaires de l’industrie du cotravail devront s’adapter, et que le marché de l’après-COVID prendra peut-être une allure différente de celle d’aujourd’hui. Tom Carroll est directeur général du secteur de recherche et stratégie de JLL pour la région de l’EMOA. Il a suivi la hausse vertigineuse de popularité du cotravail et des bureaux flexibles au cours de la dernière décennie. « À court terme, dit-il, ce secteur d’activité subit d’importantes contraintes, puisque le confinement a eu de réelles répercussions, très tangibles, sur le taux d’occupation des espaces ouverts de cotravail et des bureaux partagés. Cette situation va mettre de la pression sur certains exploitants, et nous nous attendons à des fusions et à certains revirements en fonction de l’évolution de la situation. »

L’agilité de ces solutions demeurera néanmoins un facteur important pour les occupants. « Les espaces de cotravail font maintenant partie intégrante des stratégies de portefeuilles, nous nous attendons donc à ce que cela continue. En fait, nous pourrions voir assez rapidement les directions demander à leurs équipes de mettre en place des solutions plus flexibles de partage des bureaux, ou de tirer parti de solutions existantes, et cela même dès le processus de réouverture des bureaux et très certainement par la suite. À long terme, tout ce que nous allons voir advenir en matière de travail, et de portefeuilles, aura trait à des solutions flexibles, agiles, dispersées et distribuées.

Quant à Bill Kerr, professeur à la Harvard Business School et codirecteur du projet de l’établissement intitulé Managing the Future of Work, il pense que les répercussions de la COVID-19 sur les exploitants d’espaces de cotravail dépendront du succès qu’ils obtiendront à les présenter comme des endroits sûrs pour la santé. « Certains établissements de cotravail se sont déjà taillé une place à part en déclarant offrir des installations de calibre mondial. Par le passé, cela voulait dire fournir une infrastructure informatique, du mobilier de bureau, des collations, des boissons et de petits à-côtés du genre. Je crois que de plus en plus cela s’exprimera également par la qualité et la salubrité de l’environnement de travail. »

Au fur et à mesure qu’apparaissent et se répandent diverses solutions technologiques, par exemple pour la mesure de la température corporelle ou le suivi des contacts, certains travailleurs pourraient rechercher des lieux de travail où l’on effectue une surveillance beaucoup plus étroite. « Les espaces de cotravail auraient alors l’occasion de se montrer très avant-gardistes dans la mise en place de certaines de ces conditions, pour faire de leurs bureaux des endroits un peu plus sûrs qu’ailleurs. »

Cela pourrait aussi devenir une stratégie pour la gestion des talents de haut niveau. « Imaginez une équipe de sport professionnel dont les joueurs reçoivent un salaire de 10 à 20 millions de dollars par année. Si l’un des joueurs étoiles était mis hors circuit par la maladie, cela pourrait avoir un effet dévastateur sur l’équipe. Ce genre de milieu serait propice à la mise en place de contrôles et de technologies supplémentaires pour détecter et surveiller toute exposition potentielle. On peut penser que ce serait le cas aussi dans certaines des banques d’affaires les plus réputées. Nous verrons sûrement des essais de ce type de mesures, dans le but de préserver la santé des employés, particulièrement lorsqu’ils possèdent un talent d’une valeur exceptionnelle et essentiel à l’entreprise. »

Le modèle du cotravail continuera donc d’influencer le monde des espaces de bureaux traditionnels. Les baux de location deviendront de plus en plus souples, pour inclure des clauses d’agrandissement et de réduction permettant aux occupants de moduler la quantité d’espace dont ils ont besoin autour d’un engagement fixe. À la suite du tremblement de terre de 2011 à Christchurch en Nouvelle-Zélande, des clauses de « défaut d’accès en cas d’urgence » ont fait leur apparition dans les baux de tout le pays. « Dans ces clauses, le propriétaire consent à réduire dans une juste proportion le loyer pendant toute période où le locataire n’aurait pas accès aux espaces loués, pour diverses raisons dont les tremblements de terre, les inondations ou les pandémies, explique Michael Holloway. Il reste bien sûr à débattre de ce qui constitue exactement “une juste proportion”, mais selon moi les locataires avisés de partout ailleurs dans le monde voudront certainement intégrer ce type de clauses à leur bail. »