Les actions similaires en faveur du patrimoine culturel se font plus rares malgré l’intérêt croissant du public pour les sites patrimoniaux et l’archéologie en général. Par conséquent, les institutions financières gagneraient beaucoup à « revendiquer cette place » sur le marché en misant sur les activités qui favorisent la protection et la conservation du patrimoine culturel.
Le patrimoine culturel s’entend de l’ensemble des lieux d’exception, tels que les sites, les monuments et les édifices, ayant une certaine importance et qui se doivent d’être protégés. Étant essentiels à l’identité individuelle et collective, au développement durable, ainsi qu’au bien-être physique et spirituel des collectivités, la plupart des pays ont des lois pour protéger et gérer les sites patrimoniaux.
Fait moins connu, les banques du secteur privé imposent souvent des conditions supplémentaires aux promoteurs lorsqu’elles financent des projets afin de protéger le patrimoine culturel. Il s’agit habituellement d’un facteur à prendre en considération pour les ressorts où l’efficacité et l’application des lois et des règlements du pays hôte peuvent ne pas être suffisantes pour atténuer les risques d’un projet.
Les institutions financières évitent généralement les projets qui peuvent avoir un effet négatif important sur le patrimoine culturel, car ceux-ci génèrent des risques indésirables qui peuvent nuire à leur réputation, mener à des poursuites et entraîner des pertes financières. Pour atténuer ces risques, les institutions financières mettent en œuvre des politiques qui comprennent des exigences propres aux ressources du patrimoine culturel. Malheureusement, la portée et l’application de ces exigences supplémentaires ne sont pas cohérentes, et les pratiques exemplaires font encore défaut. Pour combler cette lacune, nous avons mené une étude approfondie sur la place du patrimoine culturel dans les pratiques d’octroi des prêts de vingt-cinq des plus grandes banques du secteur privé au monde afin de mieux comprendre leur approche et de recommander les pratiques à suivre à l’avenir.
D’après nos recherches, toutes les banques de notre échantillon adoptent une forme ou une autre de politique socio-environnementale, en plus de respecter les lois et règlements du pays hôte sur la protection du patrimoine, dans le but de définir les attentes et exigences internes et externes en matière de gestion des aspects environnementaux et sociétaux dans les opérations bancaires. Ce cadre permet généralement d’évaluer les effets qu’un projet risque d’avoir sur le patrimoine culturel. Parmi les caractéristiques importantes de tels cadres, on retrouve des directives sectorielles pour certaines industries ou activités, ainsi que des directives intersectorielles ou des listes d’activités interdites ou restreintes.
Dans le cas des industries ou des activités visées par ces politiques et directives, les institutions financières ne fourniront pas de financement ou exigeront des mesures renforcées de diligence raisonnable sur le plan environnemental et social avant d’approuver tout financement. Onze (44 %) des banques examinées dans notre analyse ont établi des directives intersectorielles pour les industries et les activités qui sont liées à la protection du patrimoine culturel, en particulier en ce qui concerne les sites du patrimoine mondial de l’UNESCO.
En outre, la plupart des institutions financières adoptent volontairement des normes externes pour la gestion des questions environnementales et sociales. Nos travaux de recherche ont mis en évidence deux normes externes, les Principes de l’Équateur et la norme ISO 26000 (Responsabilité sociétale), ainsi qu’un cadre externe, les Objectifs de développement durable des Nations Unies. Parmi les vingt-cinq institutions financières examinées dans le présent article, vingt-deux d’entre elles adoptent soit les Principes de l’Équateur, soit la norme ISO 26000. Vingt-quatre (96 %) des banques analysées alignent explicitement leurs activités sur les Objectifs de développement durable.
À la lumière de notre examen et de notre analyse des pratiques adoptées par les institutions financières du secteur privé en matière de protection du patrimoine culturel, nous avons cerné un certain nombre de domaines qui peuvent être améliorés ou normalisés pour gagner en cohérence. Plus précisément, nous avons recommandé que chaque institution financière mette en œuvre un cadre de politique socio-environnementale alignée sur les objectifs suivants:
- Assurer le respect des lois et réglementations du pays hôte sur la protection du patrimoine culturel
- Adopter les Principes de l’Équateur
- Établir une politique de gestion des risques pour les sites du patrimoine mondial de l’UNESCO, qui prévoit ce qui suit:
- Accorder une importance égale au patrimoine « culturel » et « naturel »
- Interdire tout investissement lorsque les limites d’un site du patrimoine mondial ont été ajustées (c.-à-d. réduites) pour tenir compte de l’empreinte d’un projet
- Aligner les pratiques commerciales sur les Objectifs de développement durable des Nations unies, en particulier sur l’Objectif 11.4 et sur d’autres objectifs liés à la culture
- Investir dans des activités compatibles avec la conservation et la protection du patrimoine culturel
En plus de renforcer les mesures de protection du patrimoine culturel et d’adopter les pratiques exemplaires qui sont proposées, les institutions financières du secteur privé sont encouragées à rechercher les occasions qui mettent l’accent sur le patrimoine culturel. Ainsi, elles pourront se distinguer de leurs pairs, tout en améliorant leur réputation et leur image de marque. Nous pensons notamment à la mise en œuvre de mesures de protection rigoureuses, à la réalisation de projets alignés sur les Objectifs de développement durable et à la création de possibilités d’investissement socialement responsable, comme le Museum Hotel Antakya en Turquie, qui visent à exercer un effet positif sur le patrimoine et à engendrer parallèlement un rendement financier.
À l’avenir, nous élargirons le champ de notre recherche aux pratiques des banques d’importance systémique (c.-à-d. « trop grosses pour faire faillite »), des organismes de crédit à l’exportation et des compagnies d’assurances. L’objectif : mieux comprendre leur gestion du patrimoine culturel et dégager d’autres pratiques exemplaires. Si la combinaison des activités bancaires du secteur privé et du patrimoine culturel peut sembler étrange, elle promet d’être une collaboration très fructueuse (et rentable). Il reste à souhaiter que la présente recherche éclaire les institutions financières à mettre en œuvre les Objectifs de développement durable de l’ONU et à adopter des mesures rigoureuses pour la protection du patrimoine culturel.