On utilise traditionnellement la modélisation des données du bâtiment (BIM, pour Building Information Modeling) au stade de la conception et de la construction d’un bâtiment, puis très rarement dans le reste du cycle de vie de celui-ci. Dans le secteur hydrique, la BIM est très peu populaire. Or, vu les rapides avancées des outils et des technologies BIM, il serait possible d’utiliser cette modélisation dans de nouvelles phases du cycle de vie des actifs, d’autant qu’elle est maintenant adaptée aux projets de toute envergure.
Situation actuelle
En 2018, Dodge Data & Analytics a publié un rapport sur la valeur commerciale de la BIM pour les projets hydriques. Cette étude effectuée auprès de propriétaires, d’ingénieurs et d’entrepreneurs conclut que le recours à la BIM dans le secteur de l’eau et des eaux usées reste en émergence. En effet, seulement 61 pour cent des organisations sondées prévoient de l’employer dans plus de 75 pour cent de leurs projets en 2019. Son utilisation dans la gestion de l’exploitation et des actifs reste marginale, car à peine 66 pour cent des répondants ont indiqué une intégration faible à moyenne de la BIM dans leurs pratiques de gestion des actifs. La même tendance s’observe en ce qui concerne l’exploitation des installations et les activités d’entretien.
Malgré cette faible adoption dans le domaine hydrique en général, la BIM est plus populaire quand il s’agit d’infrastructures de distribution de l’eau et de collecte des eaux usées. Les jumeaux numériques sont alors presque omniprésents. Ces modèles géoréférencés nous fournissent une représentation de l’état actuel des infrastructures et de leurs interactions avec leur environnement. Les systèmes d’information géospatiale (SIG) nous indiquent de quel côté de la route les canalisations se cachent, où se trouvent les principaux points de coupure et combien de clients seront touchés par les interruptions de service. Dans le cas des systèmes de collecte et d’adduction, nous planifions et cartographions les travaux en immobilisation en tenant compte du temps et de l’espace, puis nous repérons visuellement les occasions et les contraintes.
Principaux avantages et occasions
Il est très rare de trouver un jumeau numérique des installations de gestion de l’eau et des eaux usées. Cela présenterait pourtant de nombreux avantages. Les stations de traitement sont complexes et occupent beaucoup d’espace, comprennent des tunnels souterrains et des raccordements… un modèle numérique réunissant tous ces renseignements vaudrait de l’or. Actuellement, lors de la transition vers un système centralisé de gestion et d’entretien des installations, des connaissances pointues sur les actifs de la station peuvent facilement se perdre, ce qui réduit l’efficacité des activités d’entretien et de gestion. Une station de traitement constitue donc une bonne candidate pour la BIM, puisque son gestionnaire aura alors accès à son image tridimensionnelle, à l’ensemble de l’information consignée et aux indicateurs de performance clés.

Amélioration de la communication et de la planification
Un modèle BIM contribue à l’uniformisation des connaissances et du vocabulaire des différents intervenants et à l’amélioration conséquente de la productivité des discussions concernant le renouvellement des actifs. Ceux qui ont déjà participé à une réunion sur le sujet comprendront de quoi je parle : le personnel d’entretien désignera un actif selon son lieu (« le x sous l’escalier »), les responsables de l’exploitation risquent d’employer l’ancienne appellation même si elle a changé au fil des ans, les ingénieurs et les planificateurs utiliseront le terme indiqué sur les dessins de construction et les gestionnaires se serviront du nom listé dans l’inventaire fourni par l’un des intervenants susmentionnés (et probablement créé aux fins de gestion de l’entretien). Avant de passer aux choses sérieuses, il faut s’assurer que tout le monde adopte les mêmes mots pour désigner les mêmes réalités.
Un modèle tridimensionnel évite la confusion au sujet des travaux à planifier et donne une image claire des occasions et des contraintes (p. ex. les actifs dont le fonctionnement pourra être maintenu ou sera affecté lors d’une interruption de service prévue dans le cadre des travaux). Dans le cas d’une station d’importance, où de multiples entrepreneurs travailleront en même temps, la modélisation facilitera la planification des travaux et permettra ainsi d’éviter les conflits d’horaire.
Réduction et élimination des coûts
Bien que les avantages liés à l’utilisation de la BIM pour la conception soient bien connus, il n’en va pas de même pour ceux liés à l’exploitation, à l’entretien et à la planification des actifs. S’il y a peu de données sur le rendement de cet investissement, c’est simplement parce que l’adoption de la BIM est faible et que les analyses comparatives manquent. Par contre, il est fort possible de voir les coûts de la BIM diminuer ou disparaitre pour les infrastructures en place, en raison des gains d’efficacité des équipes d’exploitation et d’entretien et de la meilleure compréhension des actifs par toutes les personnes qui gèrent ces derniers au cours de leur cycle de vie.
Les modèles réalisés au moyen de la BIM peuvent constituer une véritable bibliothèque en 3D renfermant toute l’information consignée sur les actifs. Il est toutefois peu probable de les voir un jour remplacer les systèmes de gestion des travaux puisque les logiciels de premier plan comme Maximo et SAP peuvent déjà incorporer des modèles tridimensionnels dans leurs processus. Un modèle conçu grâce à la BIM peut tout de même constituer une ressource complémentaire aux systèmes de gestion des travaux ou des documents et de contrôle et d’acquisition de données, en facilitant le visionnement en 3D de l’ensemble de l’information disponible.
Obstacles
Les obstacles qui nuisaient jusqu’ici à l’adoption de la BIM et des modèles 3D dans la gestion des infrastructures tombent les uns après les autres. À l’origine, les outils de BIM étaient faits pour la conception architecturale ou structurelle et ne convenaient pas vraiment à la mécanique, à l’électricité et à la plomberie liées au traitement de l’eau et des eaux usées. Les ingénieurs prenaient beaucoup de temps pour passer de modèles 2D à 3D et en tiraient peu d’avantages; ils ne voyaient donc pas l’intérêt de le faire. Alors que la représentation tridimensionnelle d’une station coûtait dans les six chiffres, le prix actuel ne s’élève qu’à quelques dizaines de milliers de dollars, car avec les nouveaux outils et technologies comme la cartographie et localisation simultanées (SLAM), la création de modèles conformes à l’exécution se compte désormais en jours plutôt qu’en semaines. De plus, les outils de modélisation évoluent constamment pour mieux intégrer la mécanique, l’électricité et la plomberie, et on trouve généralement des concepteurs BIM dans toute bonne société de conception.
Recul des limites
Les gestionnaires d’installations gèrent souvent leurs actifs linéaires à l’aide d’outils du secteur géospatial. D’après une récente analyse de marché publiée en janvier 2019 par ARC Advisory Group, le créateur de logiciels géospatiaux Esri occupe plus de 45 pour cent du marché mondial des SIG. En novembre, cette entreprise et Autodesk (l’éditeur de Revit) ont annoncé un nouveau partenariat visant à favoriser l’intégration de l’intelligence spatiale à la conception 3D. Les limites seront donc repoussées encore une fois. D’autres façons de visualiser et de gérer les actifs émergent à un rythme effréné. Compte tenu de ce nouveau partenariat, nous aurons un jour la possibilité d’importer des modèles d’étude et de les intégrer à des cartes réalisées sur le terrain afin de gérer des infrastructures avec des images en trois dimensions. Un avenir où l’on utilisera des applications de réalité augmentée dans le secteur de l’eau et des eaux usées frappe à nos portes!
Conclusions
Il y a sur le marché beaucoup d’outils pour la gestion de l’entretien et des actifs, mais avant de s’en servir, il faut avoir en main l’inventaire de ces actifs. Il est grand temps qu’un tel inventaire devienne plus utile et plus facile à gérer!
La création de modèles BIM et leur utilisation dans la conception et la gestion d’actifs ne devraient pas être réservées aux grands projets d’infrastructures à gros budget. Il est maintenant possible de constituer, de mettre à jour et de gérer un portefeuille de modèles grâce à des outils facilement accessibles et à l’infonuagique.
Les outils et les technologies à la base de la modélisation des données du bâtiment progressent tellement rapidement qu’il est désormais plus envisageable d’employer pour les activités quotidiennes d’entretien et de gestion du cycle de vie des actifs les modèles qui coûtaient autrefois si cher à créer. Dans un proche avenir, tous les gestionnaires d’infrastructures pourraient avoir accès à des modèles réalisés avec la BIM, et l’utilisation d’outils comme les applications de réalité augmentée pourrait bien se généraliser dans le secteur de l’eau.
RÉFÉRENCES
Karanfil, Y., « The History and Future of BIM for MEP in Canada, 29 juillet 2018. https://www.canbim.com/canbim-whitepapers
Dodge Data & Analytics, « The Business Value of BIM for Water Projects », 2 mai 2018. https://www.construction.com/toolkit/reports/business-value-bim-water-projects
BIM Ireland, « To BIM, or not to BIM? That is the Question! », 7 janvier 2019. http://www.bimireland.ie/2019/01/07/to-bim-or-not-to-bim-that-is-the-question/
ESRI, « Autodesk and Esri Partnering to Advance Infrastructure Planning and Design », 15 novembre 2017. https://www.esri.com/esri-news/releases/17-4qtr/autodesk-and-esri-partnering-to-advance-infrastructure-planning-and-design
WEAO, « Succession Planning in the Wastewater Industry ». https://www.weao.org/successionplanning
WBAFN, « Water Maintenance Project ». https://www.afn.ca/wp-content/uploads/2019/03/14-Old-Systems-and-New-Management-Ideas-Management-of-Water-and-Wastewater-Systems-WBAFNOCWA.pdf
WERF, « Overview: What is Lifecycle Costing? ». http://simple.werf.org/simple/media/LCCT/index.html
Guy, J., « Measuring Digital Readiness», 18 mai 2018. https://blog.printfleet.com/blog/digital-readiness
Catlin, T., Lorenz, J.T., Sternfels, B. and Willmott, P., « A roadmap for a digital transformation», McKinsey & Company, mars 2017. https://www.mckinsey.com/industries/financial-services/our-insights/a-roadmap-for-a-digital-transformation
ARC Advisory Group Report Names - Esri GIS Market Leader, « Market Analysis Gives Esri Top Ranking among GIS Providers in Utilities and Infrastructure», Business Wire. https://www.businesswire.com/news/home/20190131005210/en/ARC-Advisory-Group-Report-Names-Esri-GIS