Du point de vue géotechnique, un jumeau numérique peut marier les macrocosmes au-dessus et au-dessous du sol et révéler leurs interactions. L’intégration d’un modèle géologique 3D dans un modèle structurel 3D (p. ex. un bâtiment ou un tunnel) permet de créer une image plus détaillée et plus saisissante de la position d’une structure sur le sol et dans le sol. Il est plus facile de situer les risques et de prévoir comment la structure à ciel ouvert est susceptible de se comporter quand il est possible de voir à quoi elle ressemblera une fois rattachée aux conditions géologiques sous la surface. Les interactions entre les modèles peuvent permettre d’optimiser les ressources et de faire des économies. Le tableau d’ensemble permet également de communiquer plus clairement les risques liés au projet. Ce « nouvel ensemble » est beaucoup plus grand que la somme de ses parties.
Il est exaltant de constater le virage numérique dans les sciences physiques, mais cette nouvelle technologie permet d’obtenir plus que de belles images. La valeur réelle des jumeaux numériques réside dans l’amélioration de l’exécution des projets en permettant de mieux comprendre les risques, de produire des conceptions plus sûres et plus efficaces et de communiquer plus efficacement avec les intervenants de projet.
Les jumeaux numériques dans le monde réel
Aux fins du présent article, un « jumeau numérique » peut être décrit comme étant une représentation 3D d’une conception ou d’un objet physique, qui comprend les conditions actuelles du sol et l’infrastructure prévue ou construite.
Prenons un projet qui nécessite une excavation sur un terrain complexe composé de diverses unités géologiques transversales. Un tel terrain ne peut pas être bien caractérisé ou représenté par des coupes 2D. Il est toutefois possible de mieux discerner et communiquer ces réseaux complexes grâce à une base de données suffisamment importante et à une visualisation 3D. Il est possible de générer de l’information qui caractérise mieux le sol et qui permet une meilleure appréciation des risques et des incertitudes. Convertir l’information en une représentation 3D n’élimine pas l’incertitude, mais révèle les aspects pour lesquels des données existent ou manquent, de sorte que le degré et les zones d’incertitude peuvent être mieux compris et, au besoin, examinés plus à fond.
Maintenant, pour créer un jumeau numérique, nous pouvons combiner le modèle géologique 3D avec des données structurelles, notamment sur l’infrastructure souterraine. Cela permet d’obtenir une plus grande précision et de réduire l’incertitude, ce qui aide à mieux planifier comment les installations seront érigées et ce qu’il faudra pour les construire. Par exemple, nous pouvons estimer l’effort nécessaire pour excaver une masse rocheuse à partir du sous-sol ou la quantité de sols sulfatés acides que nous devrons traiter dans le cadre de l’excavation d’un tunnel.
Quand les conditions de sol sont variables, par exemple dans une zone de failles où l’érosion et les lignes de fracture varient, il est plus facile pour les intervenants concernés de comprendre les répercussions des conditions de sol lorsque ces dernières sont représentées au moyen d’un jumeau numérique. La combinaison des modèles structurels et géologiques démontre les « effets amont et aval », ainsi que la compatibilité. Grâce à cette approche, nous pouvons mieux caractériser les risques pour toutes les parties et les communiquer plus tôt au cours du projet, de façon à éviter les mauvaises surprises sur le plan géologique qui peuvent se produire dans le cadre des projets d’infrastructure. Les jumeaux numériques pavent la voie à l’exécution plus rapide et plus fluide des projets.
Comprendre les risques et optimiser la conception
Même un site où les conditions géologiques sont relativement uniformes comporte des risques. Lorsque le site est complexe, il est important pour toute construction d’infrastructures proposée de comprendre quels sont les principaux problèmes géotechniques, où ils surviennent et quelles conjonctions de facteurs convergent vers l’emplacement « critique ». Cela constitue la clé d’une solution structurelle sûre et optimale compte tenu des conditions présentes, mais dont la conception n’est pas inutilement démesurée.
Prenons l’exemple de la construction d’une grande structure sur une formation géologique complexe comprenant des dykes intrusifs. Lorsqu’ils sont récents, les dykes ont la densité du granit, mais deviennent de l’argile à plus faible densité lorsqu’ils sont altérés, ce qui peut causer une contrainte dans la masse rocheuse. La « contrainte résiduelle » peut être levée par inadvertance pendant l’excavation à proximité, ce qui peut être dangereux. Comme il est peu probable que ces conditions de sol soient adéquates à des fins d’ingénierie, il est essentiel d’essayer de comprendre comment le dyke interagira avec la structure sus-jacente. Comment le sol réagira-t-il au moment de l’excavation du sous-sol et de la mise en place de la structure dessus?
En combinant une compréhension 3D de la géologie à la conception de la construction de la structure, nous pouvons commencer à saisir les complexités dans les conditions de sol qui s’appliquent et celles qui ne sont pas pertinentes. Cela devient évident lorsque les semelles de répartition et les fondations doivent être repensées pour éviter une capacité portante inadéquate ou un tassement excessif en raison de mauvaises conditions de sol, ou encore lorsqu’elles peuvent être optimisées (p. ex. passer d’une semelle sur pieux à des massifs de fondation dans des conditions de sol favorables). Cela montre également dans quels cas la conception du système de soutènement peut devoir être modifiée ou renforcée pour tenir compte du comportement non uniforme de la masse rocheuse. Des conditions de sol variables peuvent avoir des répercussions importantes sur un ensemble d’entrepreneurs spécialisés en ce qui concerne les techniques et l’équipement de construction.
Ici pour rester
Il y a partout des possibilités d’utilisation de jumeaux numériques. Grâce à la réduction des coûts et du temps requis pour construire et combiner les modèles 3D et à l’évolution rapide des capacités logicielles, il est de plus en plus concevable de recourir aux jumeaux numériques pour de petits projets comme pour de grands. À titre d’exemple, la combinaison de modèles de contamination 3D avec des modèles géologiques, structurels et de conception assistée par ordinateur 3D peut donner une meilleure idée de la masse de contaminants devant être enlevée d’un site contaminé durant la phase de réhabilitation. Il est aussi possible d’utiliser un jumeau numérique afin d’étudier des scénarios hypothétiques et de mettre à l’essai d’autres conceptions.
Il est néanmoins important que le jumeau numérique ne soit pas considéré comme un oracle où le dépositaire de toute la vérité, de toute la sagesse et de toute la connaissance. La qualité d’un modèle dépend des données qui ont permis de le créer; il est donc essentiel de garder ses limites en mémoire. De plus, le jumeau numérique n’est utile que tant qu’il demeure « vivant ». Autrement dit, il faut prendre en compte les nouvelles données lorsque les conditions changent. Si la nouvelle information du « monde réel » n’alimente pas le jumeau numérique, il deviendra à tout le moins obsolète et pourrait même au pire induire en erreur.
Dans un monde évoluant rapidement, il est temps que les géologues, les ingénieurs et les concepteurs de structures passent au numérique tout en gardant un casque de protection et fassent la connaissance des jumeaux numériques. Cette percée technologique offre de nombreuses possibilités prometteuses en vue de conceptions plus sûres et plus efficaces, ainsi qu’en vue d’une meilleure compréhension et une meilleure communication des risques, des opportunités, des incertitudes et des interactions entre les spécialistes techniques et les chefs de projet. Lorsqu’il s’agit de rassembler des univers d’information, le recours à la technologie des jumeaux numériques ouvre de nouvelles voies.
À PROPOS DE L’AUTEUR
Michael Webster est ingénieur géologue et travaille à Melbourne, en Australie. Il s’est occupé de la modélisation 3D pour de nombreux projets un peu partout en l’Australie. Il a créé des modèles d’une superficie allant de 500 m2 à 500 km2 pour des projets tels que des tunnels routiers et ferroviaires, des immeubles de grande hauteur, des sites d’enfouissement, des barrages, la réhabilitation de terrains contaminés et la diligence raisonnable sur le plan géotechnique.