Est-ce que la distanciation physique signifiera la fin du bureau?

La COVID-19 a chamboulé le monde du travail, causant du jour au lendemain des changements tectoniques dans nos façons de communiquer et de collaborer. Durant le confinement obligatoire, un grand nombre d’occupants de bureaux ont dû faire du télétravail, ce que bon nombre d’entre nous jugeaient impossible ou hésitaient auparavant à essayer. Nous avons allumé nos caméras et nous avons vu nos salons respectifs et nos cotons ouatés défraîchis, rencontré nos familles et nos animaux de compagnie. Nous avons demandé, en toute sincérité : « Comment ça va? ». Nous comprenons mieux ce que peut être la vie dans la Station spatiale internationale, et pourquoi les comédiens sont terrifiés à l’idée de travailler avec des enfants ou des animaux. Peu importe ce que nous réserve l’avenir, il semble peu probable que nous regardions nos bureaux ou nos collègues de la même manière. Alors, quand nous y retournerons, quelle sorte d’endroit voudrions-nous que notre milieu de travail devienne?

Au cours des prochaines semaines, WSP se penchera sur l’évolution future du bureau, en examinant par exemple, s’il est possible de concevoir un milieu « à l’épreuve des virus » ou encore l’incidence d’une révolution du télétravail sur la demande de locaux commerciaux. Comment les employeurs peuvent-ils transformer leurs locaux en destinations incontournables et quel sera le rôle des technologies intelligentes dans tout cela? Les adaptations que nous avons faites augmenteront-elles la pérennité, et que signifie un bureau « souple » dans une optique de résilience aux pandémies futures?

« Cette crise va produire de tout nouveaux défis, mais sera également un catalyseur pour des changements qui bouillonnaient déjà sous la surface, explique William Johnston, directeur principal chez WSP au Canada. Certaines personnes souhaitent désespérément retourner au bureau. Plutôt que de vouloir continuer de travailler de la maison ou de craindre les échanges en personne, nombreux sont ceux qui ont soif de sortir de chez eux et de réintégrer un milieu de travail stimulant. Et nous devons leur permettre de le faire. »

Un retour à la normale ne sera pas immédiatement possible. Il se fera vraisemblablement par étapes, en maintenant des mesures de distanciation physique, peut-être jusqu’en 2022, selon des épidémiologistes de Harvard, ou même 2025, en l’absence d’un vaccin ou de traitements efficaces. Cela se traduira par des plans d’aménagement beaucoup moins denses – pour permettre à chaque personne de rester à 2 m de ses voisins, il faudrait 12,5 m² par personne, ce qui est beaucoup plus grand que les dimensions typiques actuelles. Le milieu de travail contemporain idéal se définissait jusqu’à tout récemment par des espaces souples et des déplacements sans entrave qui favorisent le plus d’interactions possible. 

« Quand on peut travailler n’importe où, on se rend au travail pour les interactions sociales, constate Jeremy Myerson, directeur de  WORKTECH Academy et professeur de design au Royal College of Art de Londres. Ces dernières années, le bureau est devenu une sorte de destination sociale, et les concepteurs ont beaucoup misé sur des moyens de rassembler les gens et de créer des lieux stimulants en faisant appel à des concepts comme des aires de travail ouvertes de haute densité et les mêlées agiles. Si nous devons exclure ces éléments, cela diminue considérablement l’attrait de se rendre au bureau pour travailler. »

En effet, les habitudes des employés de bureau sont si bien ancrées qu’il est peu probable que de simples modifications à la disposition des postes de travail suffisent pour maintenir la distanciation sociale », met en garde Peggie Rothe, agente en chef de l’innovation et de la recherche chez Leesman, qui a mesuré l’expérience de plus de 740 000 employés dans plus de 4 900 lieux de travail dans le monde entier. « Nous savons qu’il n’est pas facile de changer les comportements, soutient-elle. Dans certains cas, quand des entreprises ont essayé de passer au travail basé sur l’activité, elles ont conçu tous ces espaces épatants, mais les gens ne les utilisent pas nécessairement à moins qu’ils en comprennent bien le sens ». Elle a notamment entendu plusieurs anecdotes qui confirment qu’il est difficile de maintenir des employés de bureau séparés les uns des autres : « Les gens ne veulent pas être étalés. Même s’ils ont beaucoup d’espace, ils ont tendance à se regrouper. Nous pouvons concevoir tous les éléments imaginables pour encourager les gens, mais nous ne pouvons contrôler leurs comportements. »

Leesman applique sa méthodologie à nos lieux de travail improvisés, réalisant des sondages pour déterminer comment le télétravail se compare au travail de bureau en utilisant les mêmes paramètres. Peggie Rothe espère pouvoir publier les premiers résultats au cours des prochaines semaines. « Si on ne sait pas ce qu’est l’expérience des gens à la maison, on ne connaît pas leurs attentes pour ce qui est de continuer de faire une partie de leur travail de la maison, ou comment leurs attentes en ce qui concerne le bureau pourraient avoir changé quand ils y retourneront. Nos données suggèrent qu’apprendre les uns des autres et les interactions sociales informelles figurent parmi les aspects les plus prisés du travail au bureau. Les gens y sont habitués et c’est probablement ce à quoi ils s’attendront du bureau à l’avenir, surtout s’il s’avère que ces éléments n’ont pas été soutenus quand ils travaillaient de la maison. Il serait très dommage si, du jour au lendemain, nous aménagions des cubicules ou de grands espaces où les gens sont isolés les uns des autres. Je ne pense pas que ce soit sage et je ne crois pas que ça fonctionne. »

Si l’ameublement ne peut pas changer les comportements, une crise le peut. La grande question est de savoir comment les gens envisageront la possibilité de se réunir à nouveau une fois qu’il leur sera permis de le faire. Se présenter héroïquement au travail avec un rhume aura sûrement une moins grande acceptabilité sociale. Mais, comme nous le savons bien, on peut être contagieux sans présenter de symptômes. 

« Initialement, il sera naturel de faire preuve d’une plus grande prudence en présence d’autrui, admet Sara Silvonen, consultante en bien-être des employés chez Great Place To Work UK au Royaume-Uni. Cela engendre inévitablement un sentiment de gêne et même de crainte, que l’on remarque bien dans la rue et les supermarchés en ce moment. Au travail, des efforts mentaux et émotionnels constants seraient nécessaires juste pour se rappeler de garder nos distances, ce qui ferait non seulement en sorte que nous nous sentions moins connectés à nos collègues, mais qui aurait aussi une incidence négative sur la productivité. » Les signaux non verbaux, comme les expressions faciales, font partie intégrante de la communication, souligne-t-elle, et c’est pourquoi la fonction vidéo lors d’appels s’est avérée si importante durant le confinement. Les relations interpersonnelles constituent l’une des six dimensions clés du bien-être des employés qu’utilise Great Place To Work pour évaluer les organisations, et toute perturbation à ces relations peut avoir une incidence négative sur l’expérience des employés.

La pandémie aura sans aucun doute un impact durable sur la culture du milieu de travail, soutient sa collègue, Petrina Carmody, Ph.D., psychologue organisationnelle et consultante principale chez Great Place To Work. Mais la nature de cet impact dépendra des employeurs : « La manière dont se comporte aujourd’hui une organisation déterminera en partie si elle ira bien ou non dans un an ou deux, soutient-elle. Celles qui tireront le mieux leur épingle du jeu seront celles qui seront vraiment à l’écoute des besoins, préférences et expériences des employés et s’efforcent d’y répondre. » La manière dont les gens sont traités au travail peut avoir un impact beaucoup plus durable sur leur volonté de se dépasser : « Si je ne me sens pas appuyée ou écoutée, ou si je ne crois pas que les précautions nécessaires sont prises, ça peut avoir une incidence sur ma productivité – je ne me concentrerai pas sur mon travail. Il s’agit là d’une occasion pour les organisations de mettre les gens en premier. C’est l’approche qui s’impose, non seulement pour le bien-être des employés, mais aussi pour favoriser la productivité et la rentabilité. »

Malgré la nécessité ou un désir de mesures de distanciation sociale, le bureau de l’après-COVID misera encore plus sur la collaboration, croit Nicole Hammer, stratégiste en immeubles intelligents et connectés au Centre d’innovation ThinkBOLDR de WSP, au Colorado. « À long terme, il y aura probablement plus de gens qui continueront de travailler de la maison sur une base régulière et qui se rendront au bureau quand ils auront besoin de collaborer avec une personne ou un groupe de personnes, dit-elle. Il est possible de tenir des séances fantastiques sur Skype, Teams et autres Zoom, et beaucoup de choses peuvent être faites pour enrichir le dialogue, mais pour faire avancer l’innovation et particulièrement la culture, la collaboration en personne demeure nécessaire. »

Ce que nous ne devons absolument pas faire, c’est de revenir à l’avant-COVID, affirme Kay Sargent, directrice de l’équipe mondiale sur les milieux de travail de HOK. « La situation nous offre une occasion vraiment unique, qu’on rencontre une fois par décennie, peut-être même une fois dans sa carrière, de penser à ce que nous voudrions vraiment que soit le bureau, et comment créer des espaces centrés sur les humains. Un retour en arrière ne servirait vraiment personne. »

En ce moment, ce que la plupart des humains veulent, c’est la sécurité, dit-elle, à la base de la hiérarchie des besoins de Maslow. « Si les gens ne sentent pas que leurs besoins de base sont comblés, si la base de la pyramide n’est pas solide, il est impossible d’établir les composantes qui se trouvent plus haut dans la pyramide, comme la collaboration, la confiance, l’entrée en relation. » Mais si on ne tient pas compte du portrait global, l’industrie de la construction pourrait connaître son « moment Kodak ». « Il y a d’autres choses à l’horizon qui vont changer notre façon de travailler. Ce qui fait faire de l’insomnie aux PDG ces jours-ci, ce n’est pas la vitesse à laquelle ils peuvent produire quelque chose, mais c’est de savoir s’ils peuvent innover assez rapidement pour demeurer pertinents. Airbnb, Uber, Amazon ont changé leur industrie non pas parce qu’ils faisaient les choses plus vite, mais parce qu’ils ont changé les façons de faire. Ce sur quoi nous devons nous concentrer est notre capacité de générer des idées et de connecter les gens pour être en mesure d’innover. »

La souplesse sera aussi importante que la sécurité, croit William Johnston, de WSP. « Le lieu de travail devrait être un milieu qui offre liberté, confort et la possibilité de choisir. Il nous faudra des TI de classe mondiale, mais aussi une culture et une organisation du travail qui favorisent un milieu mobile où on peut avoir confiance que les employés accompliront le travail de la manière qui leur convient le mieux. Les fondements du bureau de l’après-COVID-19 seront la confiance, l’innovation et l’engagement – cette crise marquera le début de la mise en place de la culture basée sur la performance que les travailleurs espèrent depuis longtemps. »

Au cours de la dernière décennie, la densité des lieux de travail n’a cessé de croître, de plus en plus de personnes étant entassées dans des lieux agiles et se partageant des postes de travail. « À compter de maintenant, nous devrons nous éloigner un peu et trouver le bon équilibre entre la sécurité et la réalisation du travail dans l’espace à notre disposition », expliquer Nicole Hammer.

« Si on pense à la cuisine – comment assurer aux occupants un niveau de confort adéquat quand ils interagissent dans ces locaux assez restreints et partagent un réfrigérateur ou une cafetière? » Plutôt que d’apporter des repas de la maison, on pourrait commander des repas de groupe plus souvent, suggère-t-elle. « Cela pourrait favoriser un plus grand sentiment de communauté, parce que quand la nourriture arrive, tout le monde va s’arrêter en même temps, plutôt que de manger à différents moments. Dénicher ces petites occasions, ces petites améliorations à la culture sera un exercice fascinant. Le télétravail nous a permis d’être plus à l’aise, de nous ouvrir, de nous exposer et d’être soi-même de manière un peu plus authentique. »

Les réunions pourraient aussi devenir des occasions de promouvoir la santé et le bien-être. Plutôt que de s’entasser dans le premier local disponible, elle pense que les gens chercheront des espaces plus grands et ouverts où se réunir. « Il n’y aura probablement plus beaucoup de réunions à cinq dans une petite salle exiguë. Ça se passera plutôt dans un café ou une aire multifonctionnelle. » Ou peut-être même à l’extérieur : « Une des choses que nous faisons beaucoup à notre bureau dernièrement, si nous avons une réunion uniquement pour faire du remue-méninges et qu’il n’est pas nécessaire de prendre des tas de notes, c’est d’aller marcher dehors. C’est une excellente manière de prendre l’air et ça stimule vraiment la créativité. » 

L’amélioration de la qualité, de la circulation et du filtrage de l’air constituera une priorité dans l’après-COVID, mais il se pourrait que les gens éprouvent toujours de l’anxiété à l’idée des partager des espaces restreints avec de nombreuses autres personnes et qu’ils veulent avoir facilement accès à l’extérieur. C’est là un aspect de nombreux lieux de travail récents axés sur le mieux-être, et Nicole prédit que cette tendance s’accélèrera.

Jeremy Myerson pense que la pandémie sonnera le glas de concepts obsolètes dans les bureaux. « Cette crise marquera la fin du bureau industriel moderne caractérisé par des installations fixes, le présentéisme, la productivité comme sortie machine et une démarcation très nette entre le travail et la maison. » Le nouveau modèle sera une version plus avancée du bureau en réseau plus récent, grâce à l’accélération de la mise en place de mesures favorisant le travail souple et à distance, et un accent plus grand sur la santé et l’hygiène, le bien-être et la sécurité – « qui traite mieux les gens et se sert du lieu de travail comme outil de recrutement. »

Et le fait de devoir faire plus attention quand on se déplace pourrait avoir d’autres effets, mentionne Nicole Hammer. « Je pense sincèrement qu’une conséquence non intentionnelle pourrait être que les gens vont apprendre à ralentir et peut-être à agir de manière plus réfléchie et délibérée. Dans notre culture, nous sommes toujours à la course. Mais maintenant, si cinq personnes sont en train de préparer leur lunch dans la cuisine, j’attendrai peut-être que ça se libère. Je ne vais pas me presser pour essayer d’arriver à l’ascenseur à temps. Je serai plus patiente. S’il y a une chose que tout cela nous a apprise, c’est que la souplesse devrait être un mode de vie. Est-ce que ça va percoler jusqu’au bureau pour la suite des choses? Les gens se diront peut-être : « Pas de soucis, j’aime mieux que tu sois en sécurité que d’arriver deux minutes plus tôt à la réunion. »

La pandémie soulève de nombreuses questions non seulement sur la culture du bureau, mais sur l’apparence et les fonctions de ce dernier et, de fait, sur les besoins en matière d’espace de bureau dans l’après-COVID. WSP explorera ces questions en détail dans les semaines à venir – et nous invitons nos partenaires et clients à se joindre à la conversation. Si vous souhaitez collaborer à créer une version améliorée du lieu de travail, nous serions très contents d’entendre ce que vous avez à dire. Et si nous pouvions y arriver?