Mattias Frithiof : Les pays nordiques se sont dotés de plans ambitieux pour l’abandon des carburants aéronautiques d’origine fossile. La Suède vise à ce que tous les vols intérieurs fonctionnent entièrement sans combustibles fossiles d’ici 2030 et à ce que tous les vols internationaux décollant des aéroports suédois n’utilisent pas de carburants fossiles d’ici 2045.4
Les SAF sont un élément clé de ces efforts continus visant à réduire l’impact de l’aviation sur le climat. Le déploiement des avions électriques accélérera encore cette réduction.
Un certain nombre d’initiatives, tant publiques que privées, s’efforcent de concrétiser le développement nécessaire sur le plan de la réglementation, des infrastructures et des technologies aéronautiques.
Comme je l’ai mentionné plus tôt, le développement de technologies et de carburants alternatifs pour des avions se fera au fur et à mesure et sera d’abord déployé à petite échelle. Il faudra du temps et des fonds pour réajuster les infrastructures au sol, les systèmes aéroportuaires, les flottes d’aéronefs ainsi que les modèles commerciaux.
Cependant, des opportunités résident aussi dans ces contraintes. La région nordique compte environ 120 aéroports régionaux dont le trafic est de faible ampleur, qui souvent alimentent les aéroports plus larges dans le cadre d’un réseau traditionnel « hub-and-spoke ». À long terme, en partie à cause des limites initiales des nouvelles technologies, l’occasion se présentera d’établir de nouvelles liaisons et relations économiques – avec en somme un système mieux réparti et décentralisé. Cette situation en évolution permet de mieux « gérer les actifs » de plus de 100 aéroports régionaux et structures de soutien environnantes dans la région nordique, afin de générer une plus grande valeur provenant de l’actif aéroportuaire lui-même et de renforcer l’activité économique dans toute la région.
Quelles mesures les aéroports peuvent-ils prendre dès maintenant pour favoriser la réduction des émissions?
Gaël Le Bris : Les SAF sont déjà disponibles dans certains aéroports d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord, notamment aux aéroports internationaux de Los Angeles, d’Oslo et de Stockholm-Arlanda. De plus petits aéroports comme celui de Clermont-Ferrand Auvergne (CFE) en France et celui d’Ängelholm-Helsingborg en Suède se joignent au mouvement de transition vers l’utilisation des SAF (disponible en anglais). La chaîne d’approvisionnement, et en particulier la production, représente le principal obstacle à une mise en œuvre plus large. Les efforts doivent se concentrer autour de la production. Les exploitants d’aéroports, notamment l’aéroport international de San Francisco et l’aéroport d’Amsterdam Schiphol, plaident activement en faveur de ces carburants alternatifs. À titre d’exemple, l’aéroport international de San Francisco dispose d’un groupe de travail rassemblant toutes les parties prenantes pour accélérer le déploiement local des SAF. Ce groupe inclut des représentants de l’aviation et de l’industrie des carburants.
La mobilité aérienne avancée (AAM)5 n’est pas encore une réalité commerciale. On ne connaît pas encore avec certitude quand ces nouvelles façons de voler émergeront. Quoi qu’il en soit, les professionnels aéroportuaires devraient commencer à étudier des premiers scénarios de planification en ce sens. Ils doivent aussi consulter leurs compagnies aériennes, les autres exploitants d’aéronefs, ainsi que les fournisseurs de services aéronautiques à l’aéroport en faisant usage des conseils et des outils disponibles.6
Bien que le partage et la gestion intelligente de l’énergie électrique constituent une solution à court terme, la production et le stockage de l’électricité sur place doivent être considérés pour augmenter la résilience des installations. En ce qui concerne l’hydrogène, il y a toute une chaîne d’approvisionnement à développer. À plus long terme, l’émergence d’une économie fondée sur l’hydrogène créera une chaîne d’approvisionnement à grande échelle qui bénéficiera à l’aviation. D’ici là, nous devons élaborer un process rentable et spécifique à l’aviation, qui doit être capable de répondre à la demande limitée des premiers exploitants d’aéronefs à hydrogène, notamment dans les petits aéroports éloignés. Par exemple, l’aéroport de Groningen Eelde aux Pays-Bas cherche à mettre en place une unité de production d’hydrogène alimentée par une centrale solaire de 22 MW installée sur place.
Vous avez précédemment mentionné les bénéfices induits potentiels de l’aviation électrique. Pouvez-vous nous expliquer en détail comment le vol électrique peut avoir un effet positif sur l’accessibilité et la vitalité économique des territoires ?
Mattias Frithiof : La connectivité et l’accessibilité sont des concepts clés dans le contexte généralement appelé « nouvelle géographie économique », une formule inventée par l’économiste Paul Krugman, lauréat du prix Nobel. Grâce aux progrès technologiques rapides, aux moyens plus économiques de transport des personnes et des marchandises ainsi qu’aux communications innovantes, les barrières géographiques reculent. Cela crée les conditions nécessaires pour projeter la compétitivité des individus et des entreprises au-delà de l’horizon local. Au début, cette théorie avait pour but d’expliquer les relations commerciales internationales et la macroéconomie, mais le concept apporte également un éclairage sur le développement régional et local. Selon la nouvelle théorie de la géographie économique, une accessibilité accrue améliorera la performance des économies régionales.
Les services de transport aérien sont assurés là où la demande est élevée et où la connectivité est jugée essentielle, que ce soit à l’échelle internationale, nationale ou régionale. Et, sans aucun doute, les grands centres économiques resteront des destinations importantes. Mais, la question est de déterminer jusqu’à quel point le secteur de l’aviation qui a été initialement limité par des contraintes technologiques peut créer de nouvelles relations économiques. La réduction de la durée des trajets et l’augmentation des fréquences peuvent-elles ouvrir le marché des vols moyen-courriers à des groupes supplémentaires de voyageurs ? Une transition vers des vols plus verts peut favoriser la connectivité et apporter des avantages encore plus importants.
Quels sont les principaux points à retenir en ce qui concerne la prise en compte de ces technologies émergentes en planification aéroportuaire?
Gaël Le Bris : L’effort de réduction des émissions doit également prendre en compte les solutions plus vertes qui touchent l’ensemble de l’écosystème aéroportuaire de la desserte de l’aéroport au sol jusqu’à l’espace aérien. Il faut donc travailler à cette décarbonisation de manière holistique. Mais, pour y parvenir, les parties prenantes doivent collaborer davantage afin de lever tous les obstacles qui guettent le développement des infrastructures au sol et des vols plus verts. Les services d’assistance en escale ne sont qu’un exemple. La transition des apparaux (ou GSE) vers l’électricité gagne du terrain. Les compagnies aériennes ainsi que les fournisseurs de serviceen escale se tournent de plus en plus vers les GSE électriques. Les aéroports adoptent également des politiques visant à accélérer ce processus. Pratiquement, il est possible d’électrifier tous les véhicules aéroportuaires, des bus aux camions de dégivrage d’aéronefs. Des modèles sont déjà disponibles sur le marché et les fabricants travaillent à étendre les performances de ces technologies pour les appliquer aux véhicules spécialisés très performants, tels que les véhicules de lutte contre les incendies et ceux destinés aux opérations hivernales.
Mattias Frithiof : Les vols avec des technologies moins émettrices est essentiel pour soutenir l’environnement et la santé publique. De plus, ils ouvrent la voie à une activité économique mieux répartie et plus décentralisée, autant qu’ils favorisent la durabilité sociale. Il est nécessaire de promouvoir la mise en œuvre de nouvelles technologies visant à la fois à réduire les émissions de carbone et à fournir des solutions durables qui garantissent le rôle essentiel joué par le secteur d’aviation à l’échelle mondiale.
1 Organisation de l’aviation civile internationale
2 Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, Organisation météorologique mondiale, Programme des Nations unies pour l’environnement (en anglais); en outre, selon une étude internationale menée par l’Université métropolitaine de Manchester (en anglais) : après prise en compte des impacts autres que le CO2, le rôle du secteur d’aviation a été évalué à 3,5 % de l’ensemble des activités humaines entraînant des changements climatiques.
3 IATA, Developing Sustainable Aviation Fuel (en anglais)
4 Fossil-Free Aviation 2045 (en anglais)
5 La mobilité aérienne avancée comprend la mobilité aérienne urbaine ainsi que la mobilité aérienne régionale. Elle englobe une gamme étendue de véhicules avec des performances différentes : les aéronefs à décollage et atterrissage verticaux (ADAV ou VTOL), les aéronefs à décollage et atterrissage courts sur des pistes de moins de 1 500 mètres (ADAC ou STOL) ainsi que les aéronefs à décollage et latterrissage classiques (CTOL en anglais).
6 WSP est en train de développer un guide pour planifier l’émergence des aéronefs électriques sur les aéroports pour le compte du Transportation Research Board aux États-Unis. Le rapport de recherche sera accompagné d’un outil d’évaluation permettant d’estimer la demande en électricité à long terme pour la totalité de l’écosystème aéroportuaire, c.-à-d., « l’électrification de tout », de l’accès routier à la piste de décollage.