Rétablir la crédibilité de la compensation
Même dans des secteurs à faibles émissions, on s’entend pour dire que peu d’entreprises atteindront l’objectif d’émissions nettes nulles sans aucun recours à la compensation pour leurs émissions résiduelles. Cela va entraîner une hausse de la demande pour des programmes de compensation crédibles, une situation dans laquelle les marchés volontaires du carbone joueront un rôle central.
Ce type de marché a vu le jour il y a 30 ans environ pour permettre à des investisseurs privés, ONG, particuliers et entreprises de compenser leurs émissions par l’achat de crédits carbone. Selon de nombreux observateurs, l’absence de réglementation adéquate au fil des années en a toutefois miné la crédibilité.
Cette réalité a amené l’Institut de la finance internationale à créer un groupe de travail sur la mise à l’échelle de marchés volontaires du carbone (Taskforce on Scaling the Voluntary Carbon Market ou TSVCM) fin 2020. Lancée par Mark Carney, envoyé spécial de l’ONU pour le financement de l’action climatique, l’initiative menée par le secteur privé vise la mise en place d’un marché efficace et efficient, qui devrait permettre l’émergence d’un prix mondial pour le carbone et fournir aux entreprises des outils et incitatifs pour réduire leurs émissions au plus faible coût possible.
La pression sur les entreprises pour qu’elles réduisent leurs émissions augmente et les investisseurs exigent des plans de transition clairs et crédibles, comme le soulignait sans équivoque Larry Fink, grand patron de BlackRock dans sa lettre de 2021 aux dirigeants d’entreprises, et dans cette optique, « un marché volontaire du carbone qui fonctionne bien jouera un rôle clé dans l’atteinte des objectifs d’émissions nettes nulles et d’émissions nettes négatives », selon le groupe de travail.
Boeing figure au nombre des 40 membres, représentant tous les segments de la chaîne de valeur du marché du carbone, qui ont contribué à la création du TSVCM. Amy Bann voit l’initiative comme une occasion de définir de nouveaux cadres globaux en matière d’émissions de carbone pour le secteur privé : « Le groupe de travail cherche à transposer dans les marchés volontaires une part de la rigueur et des leçons des marchés réglementés. Le nombre croissant d’engagements d’entreprises se traduit par une hausse de l’achat de crédits compensatoires sur le marché volontaire, et des normes pour ce marché peuvent aider les acheteurs à y voir plus clair dans les critères requis et réduire les coûts des opérations ».
Le géant industriel allemand Siemens participe également au TSVCM dans le but d’en arriver à un cadre plus crédible de compensation des émissions de carbone. Volker Hessel, directeur du développement durable, convient que le recours à la compensation ne devrait se faire qu’après le recours à des approches rigoureuses de réduction des émissions, comme celles établies par l’initiative Science-Based Targets (STBi). Mais il ne se fait pas d’illusions, sachant très bien que, une fois les gains les plus évidents réalisés, il sera de plus en plus difficile de trouver de nouvelles réductions. Selon lui, trois grandes préoccupations dicteront la stratégie d’achat de Siemens, à savoir, la crédibilité, la transparence de l’établissement des prix et un lien avec des objectifs de durabilité plus larges.
De ces trois enjeux, la crédibilité est le plus important. « Il y a mille et une façons de compenser ses émissions, mais toutes ne sont pas crédibles. La crédibilité compte plus que tout, parce que notre réputation, en tant qu’acheteur corporatif, est liée à la qualité des crédits que nous achetons. Obtenir le meilleur prix est moins important pour nous, bien que, au vu des différences de prix dans le marché, nous aimerions plus de transparence pour nous aider à prendre les meilleures décisions. »
Pour Volker Hessel, la compensation des émissions de carbone est « bien plus que l’achat d’un produit », et il soutient que cette approche a peu de sens si elle ne tient pas compte d’objectifs de développement durable plus larges dans des secteurs donnés, comme le développement communautaire ou la biodiversité. « Nous examinons les projets pour comprendre leur fonctionnement et voir s’ils cadrent avec l’approche globale de Siemens. Les crédits que nous achetons sont ainsi plus intéressants pour nos employés et nos parties prenantes. »