^{* Photo de la Communauté des Innus de Nutashkuan au Québec, Canada.}

Les événements météorologiques extrêmes étant de plus en plus fréquents et intenses, il est d’autant plus important de protéger les communautés contre les répercussions potentiellement désastreuses de tels phénomènes. Après tout, les changements climatiques devraient aggraver les impacts des précipitations abondantes, des sécheresses et d’autres événements météorologiques.¹   

Par son positionnement en bordure du golfe du Saint-Laurent au Canada et sa faible élévation par rapport au niveau de la mer, la Communauté des Innus de Nutashkuan, dont la population s’élève à 1 077 résidents, connaissait des problèmes d’inondations annuels lors du dégel printanier. En 2017, une importante période de dégel et de fortes pluies a causé l’inondation d’une soixantaine de résidences, soit environ le quart des habitations de la communauté.

À la suite des inondations du printemps 2017, WSP a été appelée à développer une solution afin de protéger la communauté. Le projet d’abaissement régional contrôlé de la nappe phréatique du territoire de la communauté consistait à créer un tunnel souterrain en amont de la zone afin de capter et réacheminer les eaux souterraines loin des habitations les plus vulnérables aux inondations. Dans l’article ci-dessous, Soheil Nakhostin, directeur du projet, discute des défis du projet, de la méthode employée pour mettre en œuvre la solution et de ses avantages pour la Communauté des Innus de Nutaskuan, mais aussi potentiellement pour d’autres communautés ailleurs dans le monde.

Présentation du projet

Client : Première Nation des Innus de Nutashkuan

Calendrier des travaux : Début des études en 2018 et de l’ingénierie en 2019; fin de l’abaissement de la nappe phréatique en décembre 2019; fin du drainage en surface en décembre 2020. 

Responsabilités de WSP

• Représentant du client auprès des divers intervenants
• Demande de financement et obtention des autorisations environnementales
• Expertise et modélisation hydrogéologique
• Conception technique 
• Plans et devis
• Processus d’appels d’offres des entrepreneurs
• Supervision des travaux de construction

Solution 

Un système d’abaissement régional de la nappe phréatique qui permet de protéger les résidents des impacts des inondations provoquées par un niveau trop élevé de la nappe.

Volets techniques :

• Système passif (aucun élément mobile)
• Modélisation et étalonnage hydrologique requis
• Solution ne demandant pas d’opérations quotidiennes (et donc aucun coût d’exploitation)
• Coûts d’entretien minimes. La galerie souterraine permettra d’intercepter la montée des eaux souterraines et de les acheminer par gravité vers l’émissaire 
• Solution conçue pour remédier aux problèmes d’ensablement et d’ocre ferreuse dans les sols
• Construction rentable dont les coûts sont limités 
• Solution conçue en fonction des changements climatiques
• Suivi de la nappe phréatique au moyen de piézomètres
• Prix d’excellence, Prix canadiens du génie-conseil 2021

Quel a été le plus grand défi de ce projet? 

Soheil Nakhostin: Zone relativement plane, la région est caractérisée par de vastes dépôts sableux très perméables qui ont une incidence directe sur le niveau de la nappe phréatique² après des précipitations ou la fonte des neiges. Ainsi confrontée à un risque réel d’inondation, WSP se devait d’agir rapidement en proposant au client une solution audacieuse. La relation de travail établie par notre équipe avec le client sur plusieurs années consécutives à agir comme équipe d’ingénierie à son service nous a permis de bien comprendre les conditions du site et des sols.

Quels facteurs ont influencé le choix de cette solution? 

Soheil Nakhostin: Plusieurs exigences se devaient d’être respectées. Nous devions élaborer une solution rentable qui puisse être mise en œuvre assez rapidement et dont l’incidence sur l’environnement serait minimale. 

La complexité du projet a été amplifiée par l’éloignement de la communauté et son emplacement sur les rives de la rivière Natashquan et du fleuve Saint-Laurent. Le site ne présentait aucun réseau de traitement des eaux pluviales, puisque les maisons de la communauté n’étaient pas équipées de drain de fondation parce qu’il n’y avait pas de pente suffisante pour évacuer ces eaux par gravité.

Comment l’équipe a-t-elle été en mesure de gérer les risques associés avec l’abaissement de la nappe phréatique? 

Soheil Nakhostin: Nous avons porté une attention particulière aux répercussions potentielles que l’abaissement de la nappe phréatique pourrait avoir sur les écosystèmes côtiers et les régimes hydriques et hydrogéologiques environnants. Un déversoir réglable a donc été installé en aval du système de drainage pour limiter les perturbations et permettre le contrôle du niveau de la nappe phréatique. Notre principal objectif était d’abaisser le niveau maximum atteint par la nappe phréatique en mai lors de la fonte printanière, période où le niveau de la nappe est le plus élevé. D’après nos observations, un abaissement de 400 mm de cette dernière sera généralement suffisant pour prévenir les problèmes d’inondation.  

Comme le captage de l’eau devait être très efficace sur une distance considérable, et ce, dans une zone plate, l’équipe de WSP a développé une nouvelle approche en installant des chambres d’infiltration souterraines, qui sont généralement utilisées pour retenir l’eau de pluie sous des surfaces pavées.

Pouvez-vous expliquer en détail l’aspect technique du projet?

Soheil Nakhostin: Les travaux techniques exigés par ce projet étaient basés sur des connaissances du terrain de la région acquises au cours de plusieurs années de collaboration et confirmées par des enquêtes ultérieures. En l’espace de six mois, les concepteurs ont travaillé avec des experts en hydrogéologie pour mettre en œuvre un programme de surveillance des eaux souterraines et effectuer des tests de perméabilité sur place. L’équipe a aussi créé un modèle informatique permettant de reproduire le comportement hydraulique de la nappe phréatique.  

Au total, 830 m de chambres de captage ont été construits le long de la route 138. Chacune des chambres a une largeur de 1,5 m, une hauteur de 0,9 m et une profondeur de 3 m. De plus, 540 m de tuyaux de 750 mm de diamètre ont été installés dans les chambres, créant ainsi un ruisseau souterrain qui contourne la communauté.

L’installation de sondes piézométriques à plusieurs endroits, la validation du niveau des marées et les analyses de sol ont été réalisées rapidement et simultanément, tout comme la soumission des demandes de financement et des autorisations environnementales.

L’étude hydrogéologique concluait que la solution devait être un système de drainage souterrain très efficace, capable d’intercepter de grands volumes d’eau souterraine et de les transporter vers le golfe malgré l’absence d’une pente adéquate. Le système devait également résister à l’action de l’ocre ferreux présent dans le sol, qui pouvait rapidement obstruer les trous des tuyaux perforés classiques.

_{Figure 4 : Modélisation 3D de la topographie et de l’hydrogéologie de la région de Nutashkuan. Les éléments en bleu correspondent au fleuve Saint-Laurent (à gauche) et à la rivière Natashquan (bande horizontale au bas de la figure)} 

Quels sont les avantages durables du projet?

Soheil Nakhostin: La solution choisie permet de préserver au maximum l’environnement naturel. Les chambres de drainage le long de la route 138 ont été placées stratégiquement afin d’éviter les travaux d’excavation dans la zone résidentielle de la communauté et la déforestation inutile, puisque la croissance de la végétation est très lente dans la région. L’utilisation de boîtes de tranchée, plutôt que des méthodes d’excavation classiques, a également permis de réduire au minimum l’abattage des arbres.

Construit pour à peine 1,8 million de dollars (CA), le système s’est avéré rentable et efficace pour protéger toute la communauté contre les inondations, comme le confirment les mesures piézométriques de 2019 à 2021. L’inondation de 2017 avait à elle seule causé des dommages s’élevant à 4 millions de dollars (CA).

Le projet a également eu des avantages sociaux pour la communauté. L’embauche et la formation de travailleurs locaux ainsi que l’utilisation de ressources locales ont contribué à stimuler l’économie.

De plus, le projet a permis la construction d’un système de drainage des eaux pluviales. Le système de captage garantissant le drainage efficace des eaux souterraines, un système de drainage des eaux pluviales basé sur le même principe a été construit en 2020 pour abaisser le niveau des eaux et rediriger les eaux pluviales vers la rivière. À court terme, le drainage des eaux de surface permettra d’asphalter les routes de la communauté, qui sont principalement en gravier.

Les changements climatiques auront probablement un impact croissant sur la variation du niveau des nappes phréatiques. Ainsi, les experts mondiaux dans le domaine seront de plus en plus appelés à cerner l’approche appropriée pour chaque communauté afin de permettre à ses résidents de s’adapter aux conditions locales. 

La solution novatrice conçue sur mesure pour cette communauté pourrait également permettre une protection à long terme d’autres communautés situées dans des régions soumises à des conditions climatiques semblables.

^{1 Les principaux risques des changements climatiques pour le Canada, comité d’experts sur les risques posés par les changements climatiques et les possibilités d’adaptation, Conseil des académies canadiennes, 2019
2 Selon le U.S. Geological Survey (usgs.gov) : L’eau souterraine est l’eau occupant la zone saturée du sous-sol. La surface supérieure de la zone saturée est appelée la nappe phréatique. De la même manière qu’une éponge se remplit d’eau, l’eau souterraine vient combler les pores et les fractures dans les matériaux du sous-sol, tels que le sable, le gravier et autres roches.}