Le secteur du pétrole et du gaz produit beaucoup de gaz à effet de serre en extrayant les ressources ainsi que par l’électricité qu’il consomme. Il s’agit de l’énergie nécessaire à l’exploration, au forage dans le roc, au pompage vers la surface, puis au transport par pipeline vers les marchés. Appelées « émissions directes de portée 1 » et « émissions indirectes de portée 2 » dans les normes de comptabilisation des gaz à effet de serre les plus courantes, celles de GHG Protocol, ces émissions sont produites par des ressources détenues et contrôlées par les sociétés ou liées à leur achat d’électricité. Ce sont aussi celles qui ont reçu le plus d’attention jusqu’à maintenant.
Les mesures à court terme visant à décarboniser le secteur comprennent le remplacement du plus grand nombre possible de moteurs à hydrocarbures par des moteurs électriques, par exemple dans les véhicules, les appareils de forage et les stations de compression des pipelines. Une bonne raison d’être optimiste : l’utilisation à grande échelle d’énergies renouvelables au Canada et les plans d’élimination graduelle de la production d’électricité à partir du charbon aideront à réduire ces émissions.
L’industrie fait également un grand travail d’élimination des inefficacités énergétiques, notamment en utilisant moins de chaleur pour l’extraction et le traitement des hydrocarbures et en réduisant le torchage de gaz naturel. Elle travaille également à prévenir les émissions de gaz imprévues ou « fugitives ».
À long terme : utiliser les compétences de l’industrie pour remettre le carbone dans le sol
Au-delà des mesures à court terme décrites ci-dessus, nous jetons les bases d’une économie circulaire qui permettra à l’industrie pétrolière et gazière de jouer un rôle actif dans l’atténuation des impacts de sa production. Il s’agit de trouver et de favoriser des utilisations bénéfiques du dioxyde de carbone par des grappes d’industries qui se complètent et s’offrent des avantages mutuels. De cette façon, l’industrie pétrolière et gazière pourra faire partie de la solution en matière de réduction des émissions de dioxyde de carbone.
À titre d’exemple, la vaste connaissance du milieu souterrain que possède l’industrie est utile pour le captage, l’utilisation et la séquestration du carbone (CUSC), qui suppose la collecte du dioxyde de carbone contribuant aux changements climatiques, puis la recherche d’une autre utilisation pour celui-ci (le « U » dans CUSC) ou le stockage sécuritaire sous terre (le « S »).
Amy Bloomfield-Clarke, géologue spécialiste des structures de niveau sénior chez Golder, membre de WSP, explique les défis et les possibilités pour l’industrie en ces termes : « La décarbonisation est l’un des plus grands défis que l’humanité doive relever au 21e siècle. L’idée de capter et de stocker le carbone a été proposée pour la première fois en 1977, l’objectif étant d’atténuer les effets du CO2 sur le climat à l’aide de moyens technologiques existants. Le CUSC a connu une forte expansion pour devenir chose courante dans la dernière décennie, maintenant qu’il a été démontré que c’est une solution réalisable sur le plan technique. Les gouvernements du monde entier adoptant d’emblée le CUSC dans la préparation de leur avenir énergétique, notre prochain défi sera de créer les consortiums qui permettront le déploiement du CUSC à grande échelle. »
Le secteur du pétrole et du gaz, habitué depuis longtemps à forer dans des formations souterraines poreuses pour en extraire les hydrocarbures, applique déjà ses vastes connaissances et compétences dans ce domaine. Il s’agit notamment de mettre à profit la capacité de l’industrie d’utiliser les données sismiques et d’autres données et technologies afin de repérer les sites susceptibles d’être adéquats pour le stockage du carbone. La séquestration se fera en partie dans des réservoirs de pétrole et de gaz épuisés, dans des mines de charbon souterraines et dans des aquifères salins, c’est-à-dire des formations géologiques contenant une solution saumâtre (eau salée) dont l’eau n’est pas potable et ne peut pas non plus être utilisée en agriculture.
L’industrie s’y connaît en construction et en exploitation de pipelines et d’autres infrastructures clés, et elle peut appliquer ses compétences à la construction de lignes qui serviront à recueillir le dioxyde de carbone, provenant entre autres de sources industrielles, afin de le transporter vers des sites de CUSC. Le réseau mondial de pipelines existant facilitera le passage des lignes de transport de CO2. À titre d’exemple, l’Alberta Carbon Trunk Line, dans l’Ouest canadien, est le plus grand pipeline de CO2 issu de l’activité humaine à l’échelle mondiale. Il transporte jusqu’à 14,6 millions de tonnes de CO2 par année, soit l’équivalent des émissions annuelles de plus de 3,4 millions de maisons. Cette ligne achemine le CO2 capté vers des réservoirs de pétrole et de gaz matures pour utilisation dans la récupération assistée du pétrole et pour stockage permanent.
L’Alberta Carbon Trunk Line fait partie d’un nombre croissant de projets à l’échelle mondiale qui s’appuie sur les infrastructures, le savoir-faire, l’équipement et d’autres actifs du secteur du pétrole et du gaz pour soutenir le CUSC. Grâce aux connaissances, à l’infrastructure et à l’engagement de l’industrie, il est possible d’éliminer les émissions directes associées à la production et à l’utilisation continues d’hydrocarbures ainsi que de séquestrer et de stocker le CO2 émis par d’autres secteurs.
À moyen terme : bâtir un avenir meilleur
Cet avenir à faibles émissions de carbone ne se réalisera pas tout seul, et l’un des principaux défis découle des émissions de portée 3 associées à l’utilisation des produits de l’industrie. Les actionnaires et les organismes de réglementation financière exercent des pressions sur les sociétés pétrolières et gazières pour qu’elles divulguent les risques auxquels elles sont exposées. Il s’agit notamment de la possibilité que bon nombre de leurs actifs actuels (propriétés pétrolières et gazières) soient « délaissés », « abandonnés » ou ne puissent être exploités vu la nécessité d’atteindre les cibles mondiales de réduction des GES, qui pourrait porter un coup dur à leur bilan. Les répercussions financières pourraient motiver en partie l’expansion du CUSC dans l’avenir. Les entreprises souhaitant extraire leurs ressources sans émettre de GES ou trouver de nouvelles utilisations pour leurs sites d’extraction épuisés commenceront à s’en servir pour séquestrer ou stocker du dioxyde de carbone.
Autre facteur clé : les parties prenantes examinent de plus près qu’avant la performance des entreprises sur le plan environnemental, social et de la gouvernance (ESG). La pression financière découle du fait que les fonds d’investissement et d’autres sources de financement sont incités à se départir de leurs actifs dans ce secteur. C’est peut-être à courte vue, cependant, puisqu’il faudra continuer d’investir dans le secteur du pétrole et du gaz pour permettre aux entreprises d’obtenir le capital dont elles ont besoin pour travailler au CUSC et à des initiatives de durabilité semblables.
Si l’accès au capital devient difficile pour les sociétés pétrolières et gazières menant leurs activités dans les pays démocratiques où la réglementation est adéquate, les manques à gagner dans l’approvisionnement seront comblés par les entreprises nationales et étatiques de pays qui n’ont pas les mêmes normes réglementaires, les mêmes mécanismes de surveillance et le même engagement à l’égard des principes ESG, voire des droits fondamentaux dans certains cas. En fait, le désinvestissement n’entraînerait pas de réduction des émissions mondiales de GES. Il ne ferait que les déplacer.
Sensibilisation des conducteurs
Les consommateurs se voient offrir de plus en plus de choix pour « verdir » leurs propres émissions et ainsi contribuer à la réduction des émissions de portée 3, et l’industrie pétrolière et gazière peut les aider à le faire en les sensibilisant aux choix éthiques en matière d’achat. Certaines sociétés pétrolières et gazières offrent par exemple à leurs clients la possibilité de payer à la pompe des frais de compensation des impacts climatiques de leur consommation de carburant. La compensation se fait par la prise de mesures d’élimination des GES comme la plantation d’arbres. En fournissant de l’information sur l’empreinte carbone, notamment sur les compensations, le secteur peut renforcer les comportements des consommateurs qui les amèneront à faire partie de la solution.
Une chose importante que les sociétés pétrolières et gazières devront faire à ce chapitre, c’est d’utiliser des outils numériques pour faire le suivi à chaque étape de leur chaîne d’approvisionnement et démontrer leur engagement à l’égard de la réduction de l’empreinte carbone. Elles réduiront ainsi le gaspillage au minimum et garantiront à leurs clients que chaque molécule d’hydrocarbures achetée provient bel et bien du lieu de production déclaré. Le suivi pourrait être très important pour les sociétés pétrolières et gazières qui souhaitent se distinguer et montrer à leurs investisseurs et à leurs clients qu’elles sont un vecteur de changements positifs.
Sean Capstick, associé principal et directeur de projet, Développement durable et changements climatiques chez Golder, membre de WSP, exprime ainsi son point de vue sur le potentiel de production durable de l’industrie : « Au fil des ans, dans notre travail auprès de clients qui sont des chefs de file de l’industrie pétrolière et gazière, nous avons instauré une gamme complète de services qui permettront au secteur de prendre les mesures nécessaires pour atteindre la carboneutralité. »
Les capacités de son équipe se sont accrues au même rythme que l’engagement de l’industrie. Capstick ajoute : « Nous nous sommes lancés à la conception de pipelines pour le transport et le stockage du carbone, nous avons facilité la mesure et la vérification de la surveillance et nous avons mis au point des techniques de pointe pour le marché de l’hydrogène. Nos clients demandent et appliquent des solutions liées à la production d’énergie renouvelable, au numérique et au suivi de la provenance, à l’évaluation des impacts et à l’obtention de permis, ainsi qu’à la planification et aux audits de la compensation des émissions de carbone. Quel que soit le défi, c’est une période très intéressante pour faire ce travail, car nous sommes à même d’en constater les répercussions positives sur l’industrie et sur notre environnement, celles d’aujourd’hui et celles de demain. »
À PROPOS DES AUTEURS
Sean Capstick, P. Eng., est associé principal et cumule plus de 25 ans d’expérience dans le domaine de la conformité environnementale. Il met à profit son expérience pour offrir à ses clients des conseils stratégiques et réglementaires sur les changements climatiques. Leader de la communauté technique de Golder, membre de WSP, en matière de changements climatiques et de durabilité à l’échelle mondiale, Sean est également membre du comité consultatif externe du Centre canadien des services climatiques, dont la mission est de diffuser des données climatiques pour l’élaboration d’études de vulnérabilité et de plans d’adaptation.
Amy Bloomfield-Clarke, Ph.D., est géologue spécialiste des structures de niveau sénior. Elle compte plus de 12 ans d’expérience en recherche et en consultation dans le domaine des travaux souterrains à grande profondeur. Amy possède une vaste expérience de la consultation en géologie dans le cadre de projets d’envergure mondiale liés au captage et au stockage de carbone et au stockage de gaz dans les réservoirs de gaz épuisés, les aquifères et les cavernes salines, à la prospection et à l’exploitation de réservoirs de pétrole et de gaz, ainsi qu’à la géothermie.