Rénovations et Projets de Conservation de Bâtiments?

Global | 14 août 2023
Temps de lecture : 8 minutes

Pour atteindre l’objectif mondial « zéro émission nette », nous devons réduire considérablement les émissions de dioxyde de carbone associées à l’environnement bâti. Cela signifie qu’il faut améliorer la performance énergétique de notre parc immobilier actuel et qu’il faudrait idéalement choisir la rénovation pour la majorité des projets de mise en valeur, du moins dans les marchés établis. En effet, nous ne pouvons pas nous permettre d’augmenter davantage les émissions de carbone intrinsèque des structures existantes, peu importe à quel point elles peuvent sembler inadaptées aux besoins actuels.

Dans ce contexte, même les bâtiments désuets et délaissés deviennent une ressource précieuse qu’il faut conserver. Ainsi, les concepteurs spécialisés dans la prolongation de la durée de vie des vieux bâtiments sont les mieux placés pour nous renseigner à ce sujet, car la revalorisation a toujours été la norme pour eux.

Matthew Petticrew, ingénieur en structure chez WSP, se concentre sur la conservation des bâtiments depuis plus de 25 ans. Il a travaillé sur des projets de plusieurs époques différentes, notamment des bureaux d’après-guerre, un château vieux de 900 ans et des sites archéologiques, comme le site préhistorique de Stonehenge. « Les anciens bâtiments sont bien différents des nouveaux, alors il faut réfléchir autrement pour les conserver, explique-t-il. Si vous n’avez jamais désassemblé un bâtiment, vous ne saurez probablement pas par où commencer. »

Tandis que l’industrie de la construction se prépare à une nouvelle ère d’adaptation, que pourrait-elle apprendre à ce sujet?

1. La structure existante est la solution, et non le problème

La conservation des bâtiments est rapidement devenue une véritable passion pour Matthew Petticrew. En fait, tout a commencé lorsqu’il a fait partie d’une équipe chargée d’étudier les fissures d’un bâtiment en béton nouvellement achevé. À l’époque, la cause du problème s’était imposée à eux : le bâtiment avait été bâti avec la moitié de la quantité nécessaire d’armatures en acier. Mais pour Matthew, la question demeurait. Comment le bâtiment pouvait-il être encore debout?

« J’ai compris que la structure avait trouvé sa propre façon de tenir grâce à un chemin de charge alternatif, et cela m’a permis de voir les choses sous un nouvel angle. Quand on érige une structure, elle peut tenir debout à sa façon. En fait, un code de pratique démontre uniquement qu’il y a au moins une façon qui fonctionne. »

La première question à se poser devant un bâtiment existant, ce n’est pas de savoir comment il devrait tenir debout, mais comment il le fait réellement. « Avant d’avoir compris ça, on ne peut pas savoir ce qui se passera si on modifie le bâtiment. Si on veut préserver les structures existantes, il faut d’abord reconnaître le travail qu’elles ont accompli pendant des années, même si elles ne sont peut-être pas conformes aux normes modernes auxquelles on est habitués. »

Les anciens bâtiments sont bien différents des nouveaux, alors il faut réfléchir autrement pour les conserver.

Matthew Petticrew Directeur Technique, WSP au Royaume-Uni

2. Utiliser son sens de l’observation, plutôt que sa calculatrice

Comprendre comment tient la structure d’un bâtiment existant revient à mener une enquête. Matthew Petticrew a appris à trouver des indices en observant les démolitions de bâtiments et en apprenant d’ingénieurs expérimentés lors de visites sur le terrain. Une forte pluie, par exemple, peut révéler le trajet des conduits de cheminée dans un mur en briques, car on sait que les sections plus fines sèchent plus rapidement et que les araignées aiment tisser leurs toiles sur des surfaces sèches et stables. Au Royaume-Uni, on sait que les bâtiments antérieurs à l’ouverture du pont du Forth (la première grande structure en acier de Grande-Bretagne) sont presque tous conçus en fer, tandis que les bâtiments construits après les années 1890 sont probablement en acier. « Si on connaît les caractéristiques de chaque époque, on peut évaluer avec beaucoup de certitude la manière dont un bâtiment a été construit, sans avoir à le démonter ou à effectuer des tests qui pourraient l’endommager. »

La Première Guerre mondiale est une autre époque importante dans l’histoire de la construction en Europe, car de nombreuses forêts matures ont été abattues à l’époque. Avant la guerre, les bâtiments étaient construits avec du bois dur très résistant, prélevé au cœur d’arbres matures, alors que les structures en bois plus récentes sont fort probablement faites de bois tendre, plus sujet aux insectes, issu de l’extérieur des troncs. Voilà pourquoi les calculs d’ingénierie structurale modernes, qui sont basés sur des codes de conception optimisés pour le bois tendre, ne s’appliquent pas toujours aux anciens bâtiments en bois.

Les fissures sont aussi des indices, mais ne sont pas toutes pertinentes. Grâce à un examen visuel attentif, Matthew Petticrew peut déterminer le type de mouvement qui les a provoquées, par exemple, en observant leur forme et en vérifiant si leurs bords sont irréguliers ou nets. « On peut faire de mauvais choix si on se concentre uniquement sur les fissures sans comprendre ce qu’elles indiquent. C’est la signification de la fissure qui compte : fait-elle partie d’un composant dans le chemin de charge? Si oui, alors c’est notable, et on doit déterminer si ce composant risque d’être compromis. »

Pour les vieux bâtiments, Matthew Petticrew dispose souvent de peu d’information, hormis une date de construction approximative et les preuves qu’il recueille de ses propres yeux. L’observation attentive est tout aussi importante pour les bâtiments plus modernes, pour lesquels on pourrait s’attendre à disposer de plus d’information. « Il se peut qu’il n’y ait pas encore de plans et, même s’il y en a, ça ne garantit pas que le bâtiment a réellement été construit ainsi. Toutes les informations sont utiles. Mon mot d’ordre, c’est de toujours faire confiance à ce que je vois. »

3. Suivre l’eau

L’une des règles empiriques éprouvées de Matthew Petticrew consiste à examiner très tôt les endroits clés où l’eau pourrait pénétrer, par exemple les gouttières, les conduites d’eaux pluviales, les parapets et les noues de toit. « Peu importe que le bâtiment ait 500 ans ou 50 ans, l’eau est toujours le plus grand danger, explique-t-il. Si la structure est en mauvais état, les endroits où il y a eu de l’eau, ce sera pire. À l’inverse, si les zones où l’eau est susceptible de pénétrer sont en bon état, alors les endroits où elle ne peut pas entrer le sont aussi. »

L’humidité est une autre raison pour laquelle on ne peut pas simplement appliquer les solutions à faible empreinte carbone d’aujourd’hui aux anciens bâtiments. Les murs modernes sont dotés d’une cavité qui permet de recueillir l’eau et de la rediriger dans les chantepleures. Les murs plus anciens sont épais et lourds, et ils fonctionnent en absorbant et en libérant l’humidité. Si ce processus n’est pas compris et que les composants de construction ne sont pas adaptés en conséquence, il y a un risque de dégâts imprévus qui peuvent endommager le mur et provoquer de l’humidité et de la moisissure à l’intérieur du bâtiment.

De même, si les fissures d’un mortier de chaux respirant sont réparées avec du ciment moderne, le résultat peut affaiblir plutôt que renforcer la structure. « Si l’eau ne peut plus sortir à travers le mortier de chaux, car il est bloqué par le ciment, elle est forcée de passer à travers la brique ou la pierre, ce qui fait que la brique ou la pierre se fissure, s’effrite et se détache, aggravant le problème. »

Nous avons planté de l’herbe sur le dessus des murs, de sorte qu’elle absorbe l’eau de pluie et l’empêche de descendre dans les murs, tout en les laissant respirer. C’est une solution très simple et peu énergivore, qui évite d’avoir à pomper du béton dans les murs pour les stabiliser.

Matthew Petticrew Directeur Technique, WSP au Royaume-Uni

4. Saisir les occasions

Alors, comment améliorer les performances énergétiques d’un bâtiment conçu pour être perméable et sujet aux courants d’air? En général, les solutions tendent à être beaucoup plus personnalisées pour les bâtiments existants. Avant de rejoindre WSP, Matthew Petticrew a travaillé sur la rénovation d’une école du XVIIIe siècle pour en faire un bâtiment universitaire répondant au niveau le plus élevé, soit Outstanding, de la certification BREEAM. Le bâtiment était classé en catégorie A (la plus élevée), ce qui signifiait que toutes les modifications devaient respecter son caractère patrimonial.

L’équipe a créé des cavités ventilées à l’arrière des murs épais, en utilisant de l’isolant en fibres de bois, qui permettrait au bâtiment de respirer. « Ça a créé un chemin d’air qui aspirait l’humidité des murs existants et l’évacuait en hauteur. Mais ça a engendré un autre problème que nous devions résoudre : le feu et la fumée pouvaient eux aussi remonter dans la cavité et se propager à d’autres étages. Pour éviter cela, il fallait bloquer la cavité, mais alors elle ne fonctionnerait plus pour la ventilation. » La solution a été d’ajouter des bandes intumescentes sur les rebords de chaque étage, qui se dilatent au contact des gaz chauds, fermant ainsi la cavité.

Dans un autre bâtiment universitaire à rénover, le défi était de savoir où positionner les nouveaux services, sans endommager les finitions, les planchers ou les murs. « On a découvert qu’on pouvait installer les unités de climatisation dans les cheminées, et on a utilisé les anciennes conduites pour faire entrer et sortir l’air. Il faut faire preuve de créativité et exploiter les possibilités que présentent les vieux bâtiments. Parfois, on doit réapprendre d’anciennes stratégies et les réutiliser. Ce n’est pas toujours la nouvelle technologie qui résout les problèmes. »

Dans le château vieux de 900 ans du sud de l’Angleterre, l’eau qui s’infiltrait dans les murs dissolvait la chaux qui maintenait les débris et les pierres ensemble. « Nous avons planté de l’herbe sur le dessus des murs, de sorte qu’elle absorbe l’eau de pluie et l’empêche de descendre dans les murs, tout en les laissant respirer. C’est une solution très simple et peu énergivore, qui évite d’avoir à pomper du béton dans les murs pour les stabiliser. »

5. Se rappeler que nous sommes déjà passés par là

L’empreinte carbone est un paramètre récent dans la conception des bâtiments. Or, la nécessité d’utiliser efficacement les matériaux a fluctué tout au long de l’histoire de la construction. Après la Seconde Guerre mondiale, il y avait une pénurie de matériaux et d’expertise pour reconstruire les villes européennes, mais la main-d’œuvre peu qualifiée était nombreuse quand les soldats démobilisés sont retournés à la vie civile.

« Cela a eu une grande influence sur la façon dont les bâtiments ont été créés et conçus, des années 1950 aux années 1970. L’industrie a commencé à préfabriquer beaucoup de pièces hors site, et à concevoir des coffrages qui prenaient du temps à construire, mais utilisaient le moins de matériau possible. » C’est de là que proviennent les dalles à caisson en béton qui sont devenues les composantes phares de certains des bureaux londoniens réutilisés après adaptation les plus recherchés. Cette caractéristique est maintenant reproduite dans des structures expérimentales conçues par des algorithmes et construites par des robots pour placer le matériau uniquement là où il est nécessaire.

Des années 1980 au début des années 2000, la main-d’œuvre est devenue plus chère, et les prix des matériaux ont baissé, ce qui a entraîné la fabrication de dalles épaisses et simples coulées sur place. « Nous devons nous souvenir de cette période d’après-guerre et nous réapproprier certaines de ces méthodes. »

C’est peut-être ce qu’on peut apprendre des anciennes structures : l’empreinte carbone peut être un nouveau paramètre de conception, mais tirer le meilleur parti des ressources limitées est un problème aussi vieux que la construction elle-même.