Les ports sont souvent négligés lorsque vient le temps de mettre au point un projet pétrolier ou gazier ou un projet minier complexe. Ils existent (p. ex. friche industrielle) ou doivent être construits (p. ex. nouvelles installations). Certains pensent que les ports sont sélectionnés dès le départ et s’attendent à ce que la chaîne d’approvisionnement s’y ajuste, mais les promoteurs de projets avertis savent que les ports doivent être vus dans leur ensemble : ils doivent être intégrés dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement et dans le système de transport de la mine ou du puits à l’utilisateur final.
Pour cette raison, les ports sont la bouée de sauvetage des projets complexes. Durant les travaux de construction, ils servent de conduites pour l’équipement, les modules et les fournitures vers le chantier de construction. Durant la phase d’exploitation, ils facilitent l’importation des produits consommables requis sur le site du projet et l’exportation du produit fini ou non au client final. Qui plus est, les coûts d’immobilisations et d’exploitation d’un port peuvent souvent contribuer grandement au coût d’expédition d’un produit au client final. Autrement dit, un mauvais choix de port peut être catastrophique pour la faisabilité économique d’un projet.
Au cours des vingt dernières années, j’ai vu cinq éléments clés mal tourner dans l’élaboration de projets miniers, pétroliers ou gaziers faisant intervenir des ports. Vous pouvez éviter ces difficultés en vous posant les questions suivantes.
1. La conception de votre projet est-elle bien réfléchie et exempte de goulots d’étranglement?
Une erreur courante est de commencer un projet avec l’idée préconçue que la transformation du produit doit se faire à la source. Il peut s’agir du concassage de la roche à la mine ou de la séparation de l’eau, du condensat et du pétrole au puits. La seconde idée préconçue est que vous avez automatiquement choisi le port parce que vous pouvez conclure une entente avec un exploitant de terminal que vous connaissez pour entreposer le produit minéral ou le vrac liquide à un port existant sur un site contaminé.
J’ai vu de nombreux clients régler ces aspects par contrat et faire appel uniquement à ce moment-là à leur ingénieur-conseil favori pour concevoir le système de transport entre l’installation de traitement sur leur site et le port choisi. Il peut s’agir d’une canalisation, d’une voie ferrée, d’une route ou d’un système de convoyeur de longue distance.
Est-ce la meilleure approche? Pas vraiment.
Demander une étude sur l’emplacement d’un port durant la phase de conception permet aux promoteurs de prendre des décisions en gardant les yeux grands ouverts et leur donne la possibilité d’envisager de nombreuses options non seulement pour le port, mais aussi pour le transport vers le port et depuis celui-ci. Très souvent, il s’agit de systèmes de transport multimodaux.
Voici une série de questions qui pourraient être posées dans le cadre d’un projet pour aider à jeter les bases de décisions éclairées.
- Le projet devrait-il utiliser un port sur site contaminé, courir le risque de restreindre l’expansion et être limité par des changements incontrôlables de propriétaire ou d’exploitant du port; ou envisager un port sur terrain vierge?
- Est-il préférable de transporter le minerai brut à partir d’une altitude de 4 000 m au moyen d’un système de convoyeur de 40 km jusqu’à la vallée, à 2 000 m d’altitude, et de le traiter là où vos employés peuvent travailler en toute sécurité dans l’usine de traitement et près de leur lieu d’hébergement?
- Pouvons-nous alors charger le minerai transformé dans des camions spécialisés et le transporter sur une route réservée sur une distance de 250 km supplémentaires, afin de parvenir à une voie ferrée existante permettant d’effectuer les 800 km qui restent vers le port?
- ouvons-nous construire une voie ferrée privée sur une distance supplémentaire de 20 km au bout du chemin de fer afin de parvenir à un endroit où il y a naturellement de l’eau profonde, où il y a un abri, où la glace ne se forme à aucun moment durant l’année et où il n’est pas nécessaire d’effectuer des travaux de dragage d’entretien chaque année? Ou bien un port en eau profonde naturelle, qui n’exige pas la création d’un important projet de compensation de l’habitat pour compenser la destruction de l’habitat existant?
À l’étape de la conception, de nombreuses options seront étudiées. Le recours approprié à une analyse à critères multiples (notamment les coûts, l’environnement, l’impact social, l’obtention de permis, la constructibilité, la sécurité, l’échéancier et les risques) permettra de choisir la meilleure option présentant un coût et un risque acceptables. Lorsque les choses deviennent vraiment compliquées, des outils comme la simulation d’événements distincts sont utilisés pour aider à établir exactement où se trouvent les goulots d’étranglement.
Une fois que vous aurez obtenu cette information, vous pourrez passer en toute confiance aux prochaines étapes de l’ingénierie.
2. Avez-vous tenu compte de tous les risques qui peuvent avoir une incidence sur votre production?
Il n’est pas logique de concevoir votre port en fonction d’une certaine capacité de production s’il y a une série de goulots d’étranglement dans votre chaîne de transport qui causent des perturbations dans le transport du produit vers le port. Les perturbations peuvent être attribuables à des géorisques touchant l’alignement des rails ou des canalisations (comme des incendies ou des glissements de terrain causés par les changements climatiques). Elles peuvent être aussi des configurations de tempête changeantes se dirigeant sur le trajet de navires faisant escale au port.
Ces risques peuvent être prévus et quantifiés en posant des questions comme les suivantes.
- Quelle devrait être la capacité des réservoirs des divers produits liquides en vrac dans un terminal de distribution situé au milieu du cours d’eau afin de composer avec les variations?
- Quelle incidence cela a-t-il sur votre production? Est-ce saisonnier?
- Votre contrat d’approvisionnement peut-il composer avec ces creux et ces pics?
Ces risques peuvent être évalués, et la production peut être simulée dans son ensemble, en examinant l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement afin de désengorger la chaîne de transport.
En plus de repérer les goulots d’étranglement, les résultats de l’évaluation peuvent avoir une incidence sur la taille de votre installation de traitement.
3. Avez-vous bien défini vos critères de conception?
Au moment de concevoir quelque chose qui convient, l’ingénieur a besoin de chiffres précis, qui se trouvent dans les critères de conception. Les critères de conception sont là pour délimiter ce dont vous avez vraiment besoin et pour éviter les changements coûteux lorsque les travaux sont déjà en cours. Les modifications apportées à la conception font augmenter le coût de votre projet et peuvent entraîner des retards et une refonte des travaux pour tous les consultants concernés.
Posez-vous les questions suivantes relativement aux critères de conception.
- Avez-vous pensé à l’avenir du projet?
- Le projet comporte-t-il des phases ou des expansions?
- Les critères de conception comportaient-ils une perspective permettant au port d’être agrandi?
Au moment d’élaborer les critères de conception, il est important de se concentrer sur les paramètres qui ont les plus grandes répercussions. Ces facteurs ne se limitent pas à la capacité de production ou d’expédition. Ils exigent également de comprendre le climat des vagues, la différence entre la durée de vie théorique et la période de retour, ainsi que les dommages causés par les tremblements de terre et l’impact qu’ils peuvent avoir sur vos activités lorsque le séisme du siècle arrivera.
Les structures et les fondations portuaires peuvent être conçues de façon à éviter les dommages causés par les séismes si la continuité de la chaîne d’approvisionnement est une exigence absolue, mais cela peut devenir coûteux. Un ingénieur en géotechnique spécialisé peut formuler des commentaires, afin que les fondations soient conçues pour être réparables dans un délai donné. Vous pourriez aussi envisager d’agrandir un peu le parc à stockage afin de pouvoir continuer à produire le produit final pour votre client et de l’expédier plus tard.
4. Votre projet est-il susceptible d’être financé?
En ce qui a trait à la gestion des risques, les investisseurs et les assureurs d’un projet vous poseront beaucoup de questions, auxquelles vous devriez vous préparer. Voici des exemples.
- Quel est le risque géotechnique?
- Le coût de construction du port peut-il augmenter parce que vous ne connaissez pas les conditions du sous-sol?
- Y a-t-il une contamination antérieure au terminal?
- À quoi ressemble le climat des vagues?
- De combien de postes d’amarrage disposez-vous?
- Avez-vous besoin d’une aide spécialisée pour la collecte de données géotechniques, géophysiques, environnementales et météorologiques?
- Avez-vous consulté adéquatement les détenteurs de droits autochtones au sujet des terres sur lesquelles votre chaîne d’approvisionnement passe?
- A-t-on envisagé adéquatement l’étape d’obtention du financement nécessaire pour le projet?
Si votre prêteur est une banque, il vous demandera si votre port respecte les exigences de la Société financière internationale, de la Banque mondiale, de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement et des principes de l’Équateur. Votre projet devra faire l’objet d’un audit pour garantir qu’il répond aux critères.
5. Sortez-vous des sentiers battus?
Adopter des idées préconçues comme « cela n’a pas été fait auparavant » n’est pas toujours la bonne approche lorsque vous réfléchissez à ce qui est possible pour votre projet. Société minière brésilienne, Vale en donne un excellent exemple lorsqu’elle a décidé qu’il valait mieux prendre de l’expansion pour réaliser un meilleur rendement.
Reconnue aujourd’hui comme étant le plus grand transporteur de vrac au monde, Vale a construit sa classe de navires Valemax (400 000 tonnes de port en lourd) afin de réduire les coûts de transport. Durant la phase de conception, les opposants jugeaient ces navires trop gros pour être construits, et il n’y avait aucun port dans le monde qui pouvait accepter des navires de 65 m de largeur, de 362 m de longueur et de 23 m de tirant d’eau. En 2020, il y avait 68 de ces navires circulant dans les mers du monde et faisant escale dans plusieurs ports, ce qui correspond à une réduction de 35 à 41 % des émissions de gaz à effet de serre par tonne comparativement aux vraquiers de fort tonnage standard.
Il faut parfois voir grand comme Vale et innover! Lorsqu’il s’agit de prédire l’avenir, vous aurez besoin de soutien pour ajouter vos grandes idées au plan directeur de port.
- Vous voudrez peut-être que votre port puisse accueillir un navire de type Valemax dans l’avenir. Vous devrez peut-être planifier l’aménagement du brise lames au début du projet de façon à ce que l’approfondissement du chenal d’accès et du bassin de giration d’un navire de type Valemax au cours d’une phase ultérieure n’exige pas de modification du brise lames en tant que tel et n’ait pas d’incidence sur l’atténuation des vagues dans le port.
- Vous pourriez vouloir aussi ériger des éoliennes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Vous pourriez envisager de construire un brise lames permettant d’y monter les éoliennes.
Si votre planification laisse à désirer, vous pourriez devoir faire face à des conséquences sur votre chaîne d’approvisionnement des produits de base au moment de mettre en œuvre vos idées novatrices.
Ne vous rendez pas compte trop tard au cours de l’élaboration du projet que ces cinq questions clés n’ont pas été abordées. Votre production, la capacité de mise à niveau de votre projet et le rendement du capital investi peuvent tous être en jeu. Souvent, toutes ces questions convergent vers un point unique, à savoir le port.
À propos de l’auteur
Jan Matthé, P.Eng., est ingénieur des ports sénior chez WSP*. Il possède plus de 25 ans d’expérience en construction maritime, en travaux maritimes et en génie des ports. Il a dirigé des équipes pluridisciplinaires de conception, de la préfaisabilité à la sélection du site, en passant par la conception détaillée et la construction. Son expérience des projets a trait aux domaines du génie des structures maritimes, de la gestion des actifs, des travaux maritimes, du dragage, de la manutention du vrac et du transport ferroviaire des charges lourdes.
* Ce travail a été effectué par les professionnels de Golder qui se sont joints à WSP dans le cadre d’une acquisition réalisée en 2021.