C’est là l’ABC de la décarbonisation dans les laboratoires. « L’analyse de rentabilité pour arriver à la carboneutralité est de mieux en mieux comprise et articulée. Nos clients ont cet objectif en tête et ils savent qu’ils doivent y arriver, même s’ils ne savent pas nécessairement de quelle façon », dit Claire Gott. Comment décrire le processus? Leslie Gartner recommande de commencer par des analyses comparatives des objectifs et des échéanciers. Il donne l’exemple d’un client de WSP qui ne pouvait pas atteindre la carboneutralité à court terme et qui a donc étudié la possibilité d’y arriver dans 10, 15 ou 20 ans. L’équipe a évalué les technologies actuelles et les technologies en voie d’émergence, ainsi que d’autres méthodes de décontamination ou des sources d’énergie émergentes qui ne sont peut-être pas encore appropriées pour toutes les installations de laboratoires. La réflexion visant les modifications immédiates et les solutions qui pourraient être déployées à moyen terme a aidé à définir les paramètres budgétaires de financement de ces éventuels changements.
« Le processus initial est assez facile à entreprendre, malgré ce qu’on peut en penser », dit Leslie Gartner. Il ajoute qu’en commençant par ce qui est familier, on peut arriver à des résultats inespérés.
Les technologies émergentes
En réalité, l’objectif n’est pas seulement d’atteindre certaines cibles environnementales, mais de voir la situation dans une perspective stratégique afin que le laboratoire soit « conçu pour l’avenir ». Chris Davy explique la façon dont ce concept a été appliqué à un projet pour un des plus grands fabricants œuvrant dans le secteur des diagnostics. WSP a ainsi examiné l’impact de la chaîne d’approvisionnement sur ses opérations, tenu compte des défis posés par le système de distribution et des impacts des changements climatiques dans différentes régions, puis a modélisé différents scénarios pour les aider à accroître leur résilience à de futures perturbations.
L’adoption d’une approche flexible, à long terme, est particulièrement importante pour les bâtiments destinés à des activités scientifiques, parce que les technologies qui pourraient devenir essentielles ne sont peut-être pas viables au moment de la conception. L’élimination des déchets, un enjeu climatique important dans les laboratoires, devient ainsi un banc d’essai idéal pour cette approche « conçu pour l’avenir ». Traditionnellement, on a privilégié l’incinération à des températures pouvant atteindre 1 800 °C, en utilisant le gaz naturel comme combustible. Les solutions de rechange proposées comprennent l’hydrolyse chimique et les fours alimentés à l’hydrogène, qui sont encore à l’étape de l’expérimentation. Pour Chris Davy, l’incinération reste un procédé valide pour le traitement des déchets, et le passage à l’hydrogène rend le tout plus écologique. « Nous travaillons actuellement sur plusieurs projets liés à l’utilisation de l’hydrogène, ainsi que sur des solutions de capture et de stockage du carbone, qui pourront éventuellement être appliquées aux laboratoires dans le futur », explique-t-il.
Une autre dimension est aussi propice à une analyse approfondie : les données générées par les laboratoires, qui peuvent contribuer à une gestion intelligente et écoresponsable des bâtiments. Grâce à ces données, il est possible d’atteindre et de maintenir des conditions optimales de pression atmosphérique, de température intérieure, ou d’éclairage pour les expériences réalisées en laboratoire. Le problème, c’est que les différents systèmes ne communiquent pas nécessairement entre eux, ou ils le font de façon limitée. Or pour régler cet enjeu, il faut adopter une nouvelle approche d’interopérabilité, une approche qui aborde de front les risques pour la sécurité. Nicole Hammer, directrice des services-conseils en innovation de WSP pour la région centrale des États-Unis, souligne que cet aspect est soulevé dans chaque collaboration avec les clients. « Nous devons nous assurer que dès que nous commençons à exploiter la puissance des données disponibles, nous le faisons de manière à respecter les normes du client, et ce, tant du côté du réseau que de la cybersécurité », dit-elle.
Nicole Hammer souligne que l’intégration des données n’est pas différente des autres champs de pratique touchés par la carboneutralité. Il faut bien comprendre et cibler les résultats souhaités par le client pour concevoir un bâtiment qui soit capable de capturer les données qui permettront de suivre et mesurer les progrès réalisés. Encore là, l’élaboration de la solution doit tenir compte des capacités d’adaptation dans le futur afin que le laboratoire ne soit pas limité dans sa croissance ou sa capacité de changement au fil du temps.
La chimie carboneutre
Bien que les innovations soient envisageables pour les installations existantes, les nouveaux laboratoires sont plus propices à la mise en place de cibles plus ambitieuses en matière de carboneutralité. À l’Université de Nottingham, au Royaume-Uni, GSK a ainsi financé un laboratoire de chimie carboneutre, qui est construit à partir de matériaux naturels et qui satisfait à ses besoins énergétiques à partir de sources d’énergie renouvelable comme l’énergie solaire et la biomasse durable. Ce laboratoire a ouvert en 2017, et l’énergie excédentaire générée viendra compenser l’empreinte carbone intrinsèque de sa structure en 25 ans.
Et tout près, à Cambridge, AstraZeneca s’est fixé un objectif de carboneutralité d’ici deux à trois ans pour son nouveau campus de recherche et développement. Pour ce faire, les systèmes de chauffage et de refroidissement ont été complètement repensés, et la plus grande thermopompe géothermique d’Europe a été installée. « Il est possible d’atteindre la carboneutralité en investissant tôt avec cette optique en tête, et en ciblant chaque élément du bâtiment, ce qui inclut la structure, comment il est construit et quelles sont les sources d’énergie utilisées », avance Chris Davy. Selon lui, il serait même possible d’aller plus loin en adoptant une approche holistique.
Il ajoute que les organismes de recherche n’ont pas forcément besoin des budgets des grandes entreprises pour financer un projet qui aura un impact important. Il donne l’exemple de l’Université de Glasgow, qui a entrepris la réfection complète des laboratoires de chimie situés dans un bâtiment patrimonial, le Joseph Black. Les travaux ont permis de réaliser d’importantes réductions de la consommation d’énergie et d’eau. « Tout est possible s’il y a le leadership et l’ambition nécessaires », lance M. Davy. Et selon lui, il s’agit là du plus important dénominateur commun.