Si vous vivez dans un grand centre urbain, il y a de fortes chances que vous viviez dans l’ombre de gratte-ciel. Partout dans le monde, on voit pousser de plus en plus de tours dans les grandes villes. En effet, l’augmentation rapide de la population et l’accroissement de l’urbanisation, les avancées technologiques, le besoin de logements abordables et la concurrence interurbaine, auxquels s’ajoute l’établissement d’objectifs de densité par les organismes gouvernementaux, contribuent à faire des bâtiments de grande hauteur une méthode particulièrement efficace pour répondre à la croissance tout en maximisant les revenus.
Ces dernières années, cependant, ont vu augmenter les préoccupations quant aux incidences de ces aménagements sur le tissu des villes qui les accueillent. La prolifération des grands immeubles ne va pas sans certains inconvénients : la concentration de gratte-ciel a des conséquences intrinsèques en termes de physique, d’environnement et d’expérience. Lorsqu’elles sont mal conçues, ces structures peuvent causer des « effets d’entonnoir à vent », des effets d’ombre et des préoccupations en matière de protection de la vie privée pour les propriétés avoisinantes.
Ces complications trouvent leur origine dans la question de la compatibilité et de la pertinence de ces bâtiments par rapport à la communauté environnante. Différentes approches de planification ont émergé pour répondre à ces problèmes, dont la plus notable est la rédaction de lignes directrices de conception pour les édifices de grande hauteur.
Lignes directrices de conception
Les lignes directrices font souvent figure de guide pour promouvoir la vision, les objectifs et les politiques d’un plan officiel, mais ne sont pas assujetties au même processus d’approbation qu’un plan officiel ou qu’un règlement de zonage. En raison de cette absence de caractère juridique, on peut douter de l’efficacité des lignes directrices pour influencer la conception des grands bâtiments. Ce domaine de l’urbanisme est-il trop dépendant du contexte et doit-il donc être traité au cas par cas? Ou bien les municipalités devraient-elles imposer des restrictions à la conception des immeubles de grande hauteur afin d’éviter les problèmes liés à leur développement?
Pour clarifier ce débat, nous avons effectué une analyse de la construction d’immeubles de grande hauteur à Toronto, en utilisant la plateforme PRIME pour les villes de WSP, afin de déterminer si la conception de ces immeubles était conforme aux lignes directrices. Plus particulièrement, cette analyse visait à mesurer l’application de deux normes figurant dans ces lignes directrices : la surface de plancher et la distance de séparation.
Nous avons choisi ces normes, car elles correspondent à deux principaux composants de la conception de tours, et sont liées à un grand nombre des effets potentiels des édifices de grande hauteur. Par exemple, des surfaces de plancher surdimensionnées et des distances de séparation inappropriées entre les bâtiments peuvent affecter l’ensoleillement au sein des bâtiments et au niveau du sol, engendrer des préoccupations relatives à la protection de la vie privée pour les résidents à l’intérieur et autour du bâtiment et créer des « effets d’entonnoir à vent » en raison de la forme ou de l’absence d’éléments architecturaux destinés à en atténuer ces effets.
L’article 3.2.1 des lignes directrices pour les édifices de grande hauteur de la Ville de Toronto demande que les surfaces de plancher soient limitées à 750 m2 par étage (figure 1), tandis que l’article 3.2.3 impose une distance de séparation minimale de 12,5 m depuis le côté et l’arrière de la ligne de propriété ou depuis la ligne centrale d’une voie adjacente, et de 25 m entre les tours d’un même site (figure 2).

Méthodologie
Nous avons analysé les surfaces de plancher et les distances de séparation des bâtiments dont la construction a été approuvée par le Conseil dans l’ensemble de la ville afin de déterminer si les promoteurs avaient tenu compte de ces paramètres, ou si le Conseil et les employés municipaux approuvaient des demandes de permis sans égard au fait que la conception suive les lignes directrices. Nous avons utilisé PRIME pour les villes, ainsi que les rapports du personnel de la Ville de Toronto et les décisions de la Commission des affaires municipales de l’Ontario (maintenant Tribunal d’appel de l’aménagement local) pour repérer ces paramètres. Les résultats ont été analysés en ne tenant compte que de la conformité stricte aux directives et en utilisant une courbe en cloche pour déterminer l’ampleur des écarts.
L’analyse ne portait que sur les bâtiments d’au moins 20 étages qui ont fait l’objet d’une demande entre mai 2013 et septembre 2016. Nous souhaitions ainsi restreindre la portée de l’étude aux aménagements dont les effets étaient les plus sensibles. Au total, ce sont 83 demandes qui ont été analysées.
Résultats
Des 83 cas examinés, seuls 10 respectent les deux normes relatives respectivement aux surfaces de plancher et aux distances de séparation entre les bâtiments (figure 3). Au centre-ville, une seule demande répond aux deux normes (figure 4).

Figure 3 : Emplacement des édifices étudiés se conformant ou non aux lignes directrices. Source : WSP, 2016

Figure 4 : Emplacement des édifices étudiés au centre-ville se conformant ou non aux lignes directrices. Source : WSP, 2016
D’un point de vue statistique, seuls 17 % des cas analysés suivent les deux normes (figure 5). Le pourcentage est plus élevé si l’on ne considère qu’une norme à la fois, puisqu’il atteint environ 57 % et 41 % de conformité (figures 6 et 7). Il est intéressant de noter que la norme la plus appliquée est celle qui porte sur la surface de plancher, tandis que la distance de séparation l’est moins. Ceci est probablement dû au fait que cette seconde norme demande d’étudier le contexte des bâtiments adjacents, tandis que la première ne relève que de la conception de l’édifice.

Figures 5 – 7 : Pourcentage des demandes se conformant ou non aux lignes directrices, pour chaque norme séparément et pour les deux normes combinées. Source : WSP, 2016
Comme les lignes directrices ont pour seul but de fournir des directives sur les pratiques exemplaires et les normes de performance pour la conception des édifices de grande hauteur, il semble juste d’affirmer que les demandes qui ne dévient de la norme que de l’écart-type respectent l’esprit des lignes directrices, si la non-conformité est justifiée. Pour cette raison, nous avons analysé la distribution des cas à l’aide d’une courbe représentant l’écart par rapport à la norme (figures 8 et 9). Bien que les courbes soient différentes, au moins deux tiers des cas se situent à moins d’un écart-type de la moyenne de l’ensemble des cas.

Figure 8 : Distribution des édifices étudiés relativement à la norme limitant la surface des planchers à 750 m2M/sup>. Source : WSP, 2016

Figure 9 : Distribution des édifices étudiés relativement à la norme fixant à 25 m l’espace minimum entre les édifices. Source : WSP, 2016
Au total, 17 cas se situent au-delà d’un écart-type, dont la majorité relève de la norme relative aux distances de séparation. Treize de ces cas concernent des tours à usage résidentiel, deux des bâtiments à usage de bureau, tandis que les deux derniers proposent des types d’hébergement différents (résidence étudiante, hôtel).
Conclusions
Les résultats montrent que bien que la majorité des demandes approuvées se situent dans une plage acceptable, elles ne respectent pas strictement les normes recommandées. La plupart des demandes se situent cependant à moins d’un écart-type de la moyenne, ce qui indique que les normes contribuent bien à guider l’aménagement immobilier. Les raisons des écarts sont souvent expliquées dans les rapports de justification de la planification ou dans les rapports du personnel, ce qui permet de comprendre le contexte de chaque site. Par exemple, un aménagement a été approuvé bien qu’il ne respecte pas la distance de séparation minimale, car le bâtiment adjacent ne possédait pas de fenêtre du côté de l’aménagement. En l’absence de fenêtres, il n’y avait pas de problème de confidentialité, et les autorités ont donc jugé que la non-conformité était acceptable dans ce cas.
Bien que la planification de l’utilisation des terres soit principalement gérée par l’intermédiaire de politiques et de règlements, certains aspects de l’aménagement du territoire varient selon l’environnement bâti et le contexte environnant. Il est donc difficile d’édicter des règlements qui tiennent précisément compte des différents contextes. En tant que telle, cette analyse confirme et soutient les lignes directrices en tant que forme de contrôle efficace des questions de construction et de planification en fonction du contexte, telles que la conception d’édifices de grande hauteur.
L’équipe de développement et les employés municipaux doivent déterminer les besoins spécifiques en matière de conception de ces aménagements et y répondre. Ces équipes peuvent collaborer pour déterminer les impacts des bâtiments de grande hauteur sur des sites particuliers et trouver des solutions allant au-delà des exigences numériques en appréhendant le contexte de manière globale. Dans ces cas hautement individuels ou spécifiques à un site, l’utilisation d’un outil spécialisé tel que PRIME pour les villes fait toute la différence. Chez WSP, notre équipe PRIME continuera d’analyser les besoins complexes, dynamiques et polyvalents des aspects de l’aménagement spécifiques au contexte afin d’informer nos clients et de leur conseiller des solutions.
Pour savoir comment PRIME pour les villes peut vous aider dans votre prochain projet, veuillez communiquer avec [email protected].