Il n’y a pas si longtemps encore, les grands bouleversements relevaient davantage du concept que de la réalité. Nous y pensions dans l’optique des technologies révolutionnaires et des modèles d’affaires favorisant des solutions durables et une vie plus saine et prospère. Puis, le nouveau coronavirus (COVID-19) s’est répandu et a obligé les humains et les entreprises du monde entier à suspendre leurs activités. La gravité, l’étendue et la vitesse de propagation de la pandémie ont eu des conséquences considérables, tout comme l’incertitude que celle-ci entraine. Nous n’en connaitrons pas de sitôt tous les effets, et s’ajuster à la nouvelle réalité est un défi colossal.
Comment donc s’adapter aux circonstances? La pandémie a des répercussions sur nos vies personnelle et professionnelle, mais aussi sur nos projets. Ceux liés aux énergies renouvelables, en particulier, font l’objet d’une grande incertitude, car, pour le secteur public comme pour le secteur privé, l’heure est davantage à la gestion de l’état de crise qu’aux investissements dans des solutions d’avant-garde. Peu importe le stade d’un projet (planification, construction ou exploitation), il importe de tenir compte des contrecoups de la COVID-19 et de faire passer en priorité la santé et la sécurité de toutes les parties prenantes.
Projets au stade de la construction
Les projets d’énergie renouvelable se sont multipliés à l’échelle mondiale ces dernières années, ce qui signifie que nombre d’entre eux en sont au stade de la construction.
Présentement, les retards constituent le plus gros problème et ont à voir avec les perturbations dans la chaine d’approvisionnement internationale, le manque de main-d’œuvre locale, les difficultés de financement, l’accès restreint aux chantiers, la disponibilité des grues, de l’équipement de construction et des véhicules, la suspension de l’émission de permis, le report de contrats de location, etc. Dans certains cas, les clauses de force majeure sont activées ou la rentabilité du projet baisse compte tenu, par exemple, d’un plus grand recours que prévu à la provision pour fonds utilisés durant la construction (PFUDC). Tout cela modifie généralement le profil de risque du projet, ce qui inquiète évidemment les bailleurs de fonds.
Voici ce dont les promoteurs doivent principalement se soucier au stade de la construction :
- Passer en revue les détails de tous les accords (d’approvisionnement, de financement, d’ingénierie-approvisionnement-construction, d’enlèvement, etc.).
- Consulter des fiscalistes et des juristes, surtout en ce qui concerne les clauses de force majeure de chaque contrat.
- Être proactif. Communiquer de façon transparente et constante avec les bailleurs de fonds. Beaucoup de projets sont réalisés par le biais d’entités à vocation spéciale. Dans ce cas, les prêteurs sont impliqués dans la phase de construction et ont besoin d’information sur le pourcentage d’achèvement et la rentabilité du projet. S’acquitter en tout temps de ses obligations. Si les modalités d’un prêt deviennent trop contraignantes, les renégocier ou avoir recours au refinancement, à condition que ce soit possible.
- Évaluer, d’après les données courantes, les risques associés au projet et en faire le suivi. Réévaluer la rentabilité du projet en fonction des données courantes et des scénarios possibles de prolongation des travaux.
- Tenir compte des conséquences sur les budgets et les échéanciers des mesures de protection requises pendant la construction en raison de la COVID-19.
- Faire le suivi des comptes d’opérations financières (p. ex., immobilisations en cours et PFUDC) et de leur écart par rapport aux prévisions. Avoir l’œil sur les fluctuations des devises. Veiller à ne pas dépasser les budgets alloués et à obtenir l’approbation des prêteurs avant d’y apporter des changements. Tenir compte des différents scénarios possibles et des aléas financiers découlant du manque d’efficacité des contrôles de la qualité des matériaux et des travaux.
- Si les retards s’accumulent, prévoir le refinancement du projet et de nouvelles stratégies d’approvisionnement.
- Se renseigner sur l’expiration/la prolongation des crédits d’impôt et incitatifs similaires applicables.
Projets au stade de l’exploitation
L’exploitation de parcs éoliens ou solaires pourrait s’avérer particulièrement difficile en raison des mesures imposées par la COVID-19, comme les restrictions entourant les visites de chantiers. Par ailleurs, les projets pour lesquels des accords d’achat d’énergie ont déjà été conclus ne devraient pas être aussi pénalisés que les autres financièrement.
Comme l’économie a ralenti, la demande en électricité a faibli. Elle évolue également en raison des changements généralisés aux conditions et milieux de travail, ce qui pourrait entrainer une réduction de la consommation d’énergie et donc une baisse des revenus. Les risques opérationnels pourraient augmenter avec le report de l’entretien préventif et des travaux de remise en état. S’il est impossible d’avoir du personnel sur place, la production risque de diminuer, ou même, dans de rares cas, d’être suspendue. Sur le plan financier, il pourrait devenir compliqué de maintenir les ratios convenus et le fonds de roulement. S’ajoute à cela la possibilité de voir les conditions de crédit se dégrader.
Voici ce dont les promoteurs doivent principalement se soucier au stade de l’exploitation :
- Évaluer les répercussions à court terme sur les accords d’enlèvement. Communiquer de façon transparente avec tous les consommateurs.
- Passer en revue les garanties et les contrats d’exploitation et de maintenance en vigueur durant la période difficile.
- Consulter les polices d’assurance pour connaitre les couvertures applicables au vu des circonstances.
- Au besoin, renégocier tous les accords pouvant l’être.
- Analyser à distance la performance des installations.
- En fonction des exigences qui s’appliquent au site, prévoir des visites limitées et des mesures supplémentaires pour protéger les travailleurs.
- Réévaluer les risques et la viabilité économique du projet. Envisager d’autres modèles d’affaires qui augmenteraient la rentabilité.
- Assurer un suivi auprès des prêteurs au sujet des obligations de remboursement et des changements aux autres engagements financiers.
Projets au stade de la planification
Bien que la situation soit difficile pour l’instant dans le secteur de l’énergie, on peut toujours compter sur l’augmentation des projets liés aux énergies renouvelables à long terme. Les perturbations causées par la COVID-19 pousseront probablement les promoteurs à modifier leur mode de conception, de planification et d’exécution. Même s’ils ne saisissent pas encore toutes les conséquences de la pandémie, ils doivent continuer à revoir et à ajuster les plans des projets à venir. En fait, la crise aura eu ceci de positif qu’elle aura, en mettant le monde sur pause, donné aux promoteurs qui étaient débordés ces dernières années l’occasion de repenser leurs façons de faire.
La COVID-19 a une incidence sur tous les aspects de la planification. Les hypothèses à la base des projets en cours deviennent hasardeuses et l’incertitude secoue tous les acteurs de leur chaine de valeur (fournisseurs, entrepreneurs, exploitants, consommateurs, bailleurs de fonds, etc.). L’obligation de travailler à distance peut profondément bouleverser les procédures d’exploitation, de suivi et d’évaluation. Les prêteurs et les modalités de financement pourraient changer. À la reprise des activités, le gouvernement allouera peut-être des fonds aux infrastructures pour relancer l’économie. Mais des vents contraires souffleront peut-être sur les marchés. À titre d’exemple, les combustibles fossiles pourraient férocement concurrencer les énergies renouvelables étant donné la chute de leurs cours ou les politiques gouvernementales. Tous ces facteurs peuvent grandement modifier le profil de risque et ainsi compromettre la viabilité économique d’un projet.
Voici ce dont les promoteurs doivent principalement se soucier au stade de la conception et de la planification :
- Revoir toutes les hypothèses à la base du projet.
- Revoir les stratégies relatives à la chaine d’approvisionnement (sources locales ou mondiales), aux contrats (clauses en lien avec les perturbations), à l’exploitation et à la maintenance (équipes multiples, internes, complétées par celles de fournisseurs externes), aux suivis et aux examens (sur place ou à distance), etc.
- Passer en revue les instruments et les technologies qui rendent possibles les suivis et les analyses à distance.
- Étudier tous les modes de financement. Communiquer de façon transparente et constante avec les bailleurs de fonds potentiels. Revoir les modalités des prêts.
- Réévaluer les risques et la faisabilité du projet. Envisager de nombreux scénarios pour bien comprendre la performance du projet dans toutes les situations possibles.
- Redéfinir les plans de mesures d’urgence et les stratégies d’intervention.
- À la reprise des activités, revoir les processus pour pouvoir passer rapidement de la planification à la construction puis à la mise en service.
- Réévaluer la situation en fonction du nouveau contexte et des scénarios possibles. Tirer parti des occasions de développement des affaires. À noter que l’avenir reste prometteur pour les projets liés aux énergies renouvelables.
- Explorer les possibles programmes d’aide ou de relance dédiés aux infrastructures et présenter des demandes.
- Par le biais des associations du secteur, influencer les décideurs afin qu’ils comprennent que les énergies propres joueront un rôle clé dans la reprise économique et l’atteinte des objectifs environnementaux et qu’ils rédigent des politiques en leur faveur.
- Tirer de précieuses leçons de la situation actuelle. Réfléchir à la préparation et à la planification nécessaires pour affronter la prochaine pandémie ou un bouleversement similaire.
Une résilience sans précédent
Il n’est pas toujours facile de rester positif en ces temps incertains et difficiles. Imitons les promoteurs résilients qui s’accrochent à leur vision à long terme et gardons à l’esprit que le désir de réduire les émissions de gaz à effet de serre ne s’éteindra pas. En fait, les placements responsables et les objectifs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) pourraient même gagner en importance une fois la crise terminée. Justement, investir dans les énergies propres contribue grandement à la réalisation de ces objectifs.
Une chose est sûre : nous nous en sortirons. Et nous pourrions bien voir l’intérêt pour les projets liés aux énergies renouvelables atteindre un niveau inégalé.