Les terres endommagées par les perturbations anthropiques sont en grande partie responsables de la perte de biodiversité à l’échelle mondiale. Au Canada, les répercussions sur les forêts et les autres écosystèmes comme l’Arctique sont théoriques pour la plupart des citoyens, mais touchent directement les peuples des Premières Nations qui entretiennent un lien avec ces terres et qui en sont les gardiens depuis la nuit des temps. Le rapport des communautés autochtones à la terre est profondément spirituel et le savoir lié aux systèmes naturels est transmis par les récits oraux depuis plus d’un millénaire. Les préoccupations relatives aux effets cumulatifs sur les terres, aux nouveaux projets, aux perturbations traditionnelles sans exigences de régénération, et aux espèces qui habitent les terres sont depuis toujours soulevées par ceux qui en sont le plus affectés, soit les membres des Premières Nations, des Inuits et des Métis.
Les préoccupations se sont traduites par des actions au Canada. La prise en compte des effets cumulatifs et le renversement des effets négatifs sur la biodiversité (les terres, la nature) sont au cœur des priorités des communautés autochtones. Pour la plupart, la guérison des terres viendra appuyer la guérison de leurs populations. Les solutions ne sont pas simples. Les solutions requises pour engendrer des effets positifs sur la nature doivent être mises en œuvre à grande échelle, sur plusieurs années et avec la collaboration d’intervenants, le tout à un coût financier très élevé. Même si les obstacles aux solutions concrètes pour la biodiversité semblent immenses, bon nombre de communautés autochtones les ont surmontés et dirigent certains des programmes de restauration des habitats et des espèces les plus bénéfiques au pays.
Le travail entrepris par les communautés autochtones, dans certains cas sans direction ni financement de la part des institutions gouvernementales, place le Canada sur la voie de la transition vers un effet positif sur la nature.
Le leadership autochtone en action
La COP15 a servi de tribune aux communautés et aux partenariats autochtones pour démontrer leurs solutions gagnantes à la restauration de la biodiversité. La série de présentations au pavillon du Canada a permis aux communautés autochtones et à leurs partenaires de partager la force et l’action de l’excellent travail qu’ils mènent partout au pays.
Malgré l’intérêt national pour le rétablissement des espèces à risque exprimé par le gouvernement fédéral ainsi que les pressions subséquentes sur les gouvernements provinciaux et territoriaux pour améliorer l’intégrité des habitats, les programmes de rétablissement les plus efficaces ont sans contredit été initiés, dirigés et mis en œuvre par les Premières Nations.
La population de caribous des bois de Klinse-Za dans le nord-est de la Colombie-Britannique a chuté à 200 individus en 1995 pour s’établir à seulement 40 individus en 2013. Un plan d’action de rétablissement coordonné et ciblé, mené par la Nîkanêse Wah tzee Stewardship Society, une initiative conjointe des Premières Nations de West Moberly et de Saulteau, a mis fin au déclin par la mise en place d’enclos de mise bas pour les caribous et de mesures de gestion des prédateurs. La société est même allée jusqu’à reconnaître que les mesures de rétablissement devaient prévoir des solutions à long terme au moyen de mesures de restauration des habitats. Aujourd’hui, la société a créé une initiative de conservation autochtone sans précédent, en partenariat avec bon nombre d’organisations et de gouvernements. Cette initiative jumelle des mesures de rétablissement à court terme pour les espèces à risque à un travail continu de restauration des habitats et de sécurisation de la protection du paysage. Les résultats de ces actions ont freiné le déclin de la harde de caribous de Klinse-Za; alors en voie de disparition, la population de la harde connaît maintenant une croissance.
La Première Nation de Blueberry River est signataire du Traité no 8. La Première Nation de Blueberry a compris que la signature du Traité no 8 entraînerait une relation de nation à nation basée sur les bienfaits mutuels. Au cours des dernières décennies, le gouvernement de la Colombie-Britannique a autorisé un important développement industriel sur le territoire de Blueberry. En 2021, la Cour suprême de la province statuait dans l’affaire Blueberry River First Nations (Yahey) v. Province of British Columbia que les développements autorisés par le gouvernement provincial au fil des années avaient enfreint les droits prévus au Traité no 8 à l’égard de la Première Nation de Blueberry River. L’entente découlant de la décision stipule que la province et la Première Nation doivent collaborer pour mettre en place des processus de gestion des terres à Blueberry afin de restaurer et de protéger la capacité des terres de soutenir les modes de vie autochtones, en plus de s’assurer que les autorisations de développement futures tiennent compte des effets cumulatifs sur les terres et la faune ainsi que de leurs impacts sur les droits de la Nation protégés par traité de chasser, pêcher ou trapper pour se nourrir. Depuis 2021, la Première Nation de Blueberry s’est efforcée de former les membres de sa communauté afin de bâtir la capacité locale de restauration des habitats et a exécuté avec succès des programmes de restauration sur le terrain.
Ce ne sont que deux exemples des nombreuses initiatives recensées au cours des dernières années qui témoignent des efforts des communautés autochtones pour former des partenariats avantageux, obtenir du financement et déployer des mesures visant à protéger et à restaurer la biodiversité. D’autres programmes réussis comprennent l’établissement d’une aire protégée Edéhzhíe sur le plateau Horn des Territoires du Nord-Ouest par les Premières Nations du Dehcho, le projet de restauration du havre Bernard de l’organisation de chasseurs et de trappeurs de Kugluktuk au Nunavut, le plan d’action et la mise en œuvre de la Première Nation Medzih de Fort Nelson pour la restauration des habitats dans l’aire de planification de Kotcho au nord-est de la Colombie-Britannique, le programme des gardiens autochtones de Fort McKay avec mise en œuvre d’une recherche et d’un suivi communautaires des impacts environnementaux et des activités de restauration afin d’atténuer les impacts cumulatifs dans le nord-est de l’Alberta, ainsi que le projet d’expansion du parc sauvage Kitaskino Nuwenene qui crée le plus important secteur de terres protégées au monde, rendu possible par la collaboration des communautés autochtones, des partenaires de l’industrie et du gouvernement.
Vivre en harmonie avec la nature est un défi de taille pour l’humanité, compte tenu de la croissance rapide de la population et des pressions associées sur les ressources requises pour maintenir ou améliorer le niveau de vie à l’échelle mondiale. La Convention sur la diversité biologique est un élément central de ce défi. Elle prévoit des objectifs clairs visant la conservation de la diversité biologique, l’utilisation durable de ses composants et l’atteinte d’un partage équitable des bienfaits de la nature. Au Canada, comme dans bien des régions du monde, les peuples autochtones jouent un rôle particulièrement important dans l’atteinte de ces objectifs.
À l’heure où le Canada consolide ses engagements envers la protection et la restauration de la biodiversité, le leadership autochtone à l’égard des mesures positives pour la nature, comme la restauration et les données servant à cibler des zones de conservation, est essentiel. Le savoir et l’expertise des peuples autochtones sont d’une importance cruciale. Les relations établies avec ces gardiens de longue date des terres maximiseront les répercussions à long terme de nos efforts et de nos investissements sur notre environnement naturel.
Les obstacles à surmonter
Les zones de conservation à grande échelle et la restauration coordonnée des paysages endommagés seront impératives pour favoriser les effets positifs sur la nature au Canada. Il faut créer des partenariats de collaboration entre les peuples autochtones, l’industrie, le gouvernement et les scientifiques pour offrir l’expérience concrète des paysages thérapeutiques. Cette collaboration doit inclure le savoir autochtone. Le savoir autochtone n’est pas observé partout, un aspect qui doit être considérablement amélioré à l’avenir. Les maîtres d’œuvre de la restauration doivent mobiliser ces communautés pour optimiser le succès des programmes de restauration des habitats et l’acceptation sociale. En outre, le savoir traditionnel et le savoir scientifique sont des sources précieuses d’information en matière de planification et de mise en œuvre de la restauration. Même si les peuples autochtones font entendre et respecter leurs voix, des enjeux persistent quand vient le temps de joindre le geste à la parole. Les programmes de restauration et de conservation doivent incorporer des approches qui permettent d’intégrer la participation et le savoir autochtones à toutes les étapes de la restauration, notamment la sélection des secteurs prioritaires de restauration, la formulation d’objectifs de restauration, la sélection des techniques de restauration et la mise en œuvre concrète.
Les programmes de restauration des communautés autochtones se heurtent fréquemment à un problème lié au financement et aux exigences administratives des organisations provinciales ou fédérales de financement. Les partenariats avec diverses organisations non gouvernementales, l’industrie et les scientifiques atténuent ce problème pour certains. Par ailleurs, l’établissement de partenariats fructueux avec des institutions d’enseignement, des consultants, des entrepreneurs et l’industrie peut également permettre de surmonter les obstacles liés au renforcement des capacités et à la formation. Une communauté pourra ainsi profiter d’emplois locaux importants et enrichissants sur son territoire traditionnel.
Enfin, il est encore difficile de reconnaître que les communautés autochtones doivent être soutenues dans le développement, ou la restauration, de leurs terres à leur gré, sans interférence de la part des développeurs ou des divers paliers gouvernementaux.
Ce fut un honneur pour WSP de pouvoir s’associer avec un certain nombre de communautés autochtones dans le développement de plans de restauration et dans la mise en œuvre de mesures de restauration concrètes. Ces partenariats sont venus promouvoir le renforcement des capacités et la formation. Cette formation réciproque a ouvert les praticiens de la restauration de WSP à la valeur d’une restauration holistique et culturellement pertinente qui tient compte de l’aspect spirituel des terres. Les communautés sont maintenant en mesure de prendre en charge la planification et la mise en œuvre de la restauration sans soutien supplémentaire, une des retombées positives.
Paula Bentham est biologiste principale en chef pour WSP au Canada.
Pour en savoir plus sur la façon dont WSP travaille à fournir à ses clients des solutions favorisant la biodiversité, veuillez consulter la page :