L’hydrogène est l’élément le plus simple et le plus abondant de l’univers et il est devenu un composant essentiel des processus industriels depuis des années. C’est un fait bien connu, il suscite un engouement sans précédent ces dernières années pour remplacer les énergies fossiles dans un monde carboneutre. Quand ce gaz non toxique, incolore et inodore, mais hautement combustible, est brûlé pour produire de l’énergie, ses seules émissions sont de la vapeur d’eau.
Alors que les pays s’emploient à décarboniser leurs économies d’ici 2050, ils sont nombreux à explorer le potentiel de l’hydrogène non seulement pour chauffer les maisons, faire rouler les voitures et compenser les réseaux d’électricité, mais aussi pour nettoyer les secteurs qui ont peinent à réduire leurs émissions et ne sont pas faciles à électrifier, comme la fabrication industrielle, les transports lourds et l’aviation. Plus de 30 gouvernements nationaux ont mis en place des stratégies en vue de créer une nouvelle économie axée sur l’hydrogène – l’Union européenne, par exemple, souhaite produire un million de tonnes d’hydrogène renouvelable par année d’ici 2024, pour atteindre 10 millions d’ici la fin de la décennie. Les partisans de l’hydrogène l’appellent « le couteau suisse des solutions énergétiques » et croient que c’est la pièce manquante du casse-tête de l’énergie renouvelable pour résoudre les problèmes d’intermittence et de stockage. D’après Hydrogen Council*, un organisme sectoriel fondé en 2017, l’hydrogène pourrait combler un cinquième des besoins énergétiques du monde d’ici 2050. D’ici là, Goldman Sachs* prévoit que le marché mondial potentiel pourrait valoir 11,7 milliers de milliards de dollars.
Or, si cela vient à se réaliser, l’industrie de l’hydrogène devra non seulement résoudre des défis techniques, car sa production nécessite rien de moins que des infrastructures entièrement nouvelles, mais aussi s’attaquer à des problèmes de perception. Sa réputation est encore entachée par la catastrophe de Hindenburg qui, en 1937, a coûté la vie à 35 personnes alors qu’un avion plein d’hydrogène a explosé pour une cause indéterminée. On se demande aussi dans quelle mesure la production d’hydrogène est réellement durable. Aujourd’hui, la grande majorité de l’hydrogène industriel est généré à partir de gaz naturel, de méthane ou de charbon, mais les espoirs des tenants de l’hydrogène sont fondés sur le développement de deux nouvelles méthodes. L’hydrogène « vert » est obtenu en séparant l’eau à l’aide d’électrolyses alimentées par de l’énergie renouvelable, tandis que l’hydrogène « bleu » est dérivé du gaz naturel alors que les émissions de CO2 qui en résultent sont captées et stockées. Les deux méthodes produisent une énergie combustible sans émettre davantage de carbone dans l’atmosphère, mais seule la première est vraiment carboneutre. Les détracteurs de l’hydrogène avancent qu’il sera impossible de produire de l’hydrogène vert à grande échelle assez rapidement et que, jusqu’à présent, cela reste un combustible fossile. Ils craignent que cela détourne l’attention des énergies renouvelables comme l’énergie solaire et éolienne et que cela permette aux plus grands émetteurs de dioxyde de carbone de poursuivre leurs activités comme d’habitude. D’autres soutiennent que l’hydrogène bleu constitue une solution pragmatique pour réduire les émissions à court terme et que nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas tirer profit des infrastructures et des chaines d’approvisionnement actuelles dans notre ruée vers la carboneutralité.
Différentes voies mènent à la carboneutralité
La destination est peut-être la même, mais les voies que les pays ont l’intention de prendre pour atteindre l’économie axée sur l’hydrogène sont différentes, selon leurs bouquets énergétiques et économiques actuels. Le Canada, en tant que sixième plus grand producteur d’énergie au monde, mise grandement sur l’hydrogène pour décarboner un secteur énergétique qui contribue à plus de 10 % de son produit intérieur brut, en s’appuyant principalement sur le pétrole et le gaz. Avec la Stratégie canadienne pour l’hydrogène, publiée en décembre 2020, le gouvernement du Canada s’appuie sur ses atouts actuels en gaz naturel pour imaginer un secteur qui pourrait valoir 50 milliards de dollars d’ici 2050, ce qui créerait 350 000 emplois et permettrait de progresser grandement vers la carboneutralité en répondant à 30 % des besoins énergétiques du pays.
Il s’agit d’une première étape essentielle vers un monde entièrement décarbonisé, croit Daniel Matthews, directeur de projets, Énergie, ressources et industrie chez WSP Canada. « Il a fallu un siècle pour créer les infrastructures Pétrole et gaz qui dynamisent nos économies aujourd’hui, alors la construction d’une économie basée sur l’hydrogène n’arrivera pas du jour au lendemain, explique-t-il. Le secteur de l’énergie aura besoin de soutien provincial et fédéral pour réaliser la vision de la transition énergétique. Afin de combler l’écart entre les infrastructures énergétiques actuelles et un avenir énergétique à faible empreinte carbone, le Canada cherche différents moyens de produire et d’utiliser de l’hydrogène, à commencer par la possibilité d’avoir de petits ratios de gaz naturel mélangé à de l’hydrogène dans les pipelines gaziers actuels. »
Cette approche permettrait de redéployer toute la main-d’œuvre d’hydrocarbures du Canada, ajoute-t-il, ce qui, autrement, pourrait être laissé de côté dans le cadre de la transition énergétique : « Il est impératif que nous évaluions rapidement le potentiel de l’hydrogène à cette étape. Sinon, nous allons manquer une occasion intéressante. »