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Peut-être que tout a commencé par une application de livraison ou par un abonnement Netflix. Quelques clics et une carte de crédit ont suffi pour que, tout à coup, la nécessité de s’aventurer dehors par mauvais temps pour faire des achats soit chose du passé.
Après plusieurs semaines d’hiver à faire de longs trajets dans la neige, la gadoue et la grisaille, les écrans gagnent de plus en plus de terrain dans nos vies et finissent, presque sans qu’on s’en aperçoive, par devenir notre principale fenêtre sur le monde extérieur.
Dans les centres urbains dynamiques où les emplois fleurissent et la densité de population ne cesse de croitre, le sentiment d’isolement social est devenu endémique. Près d’un quart des Canadiens* disent souffrir d’isolement social et de solitude « extrêmes », et ils sont 45 % à rapporter n’avoir eu aucune interaction avec leurs voisins depuis au moins un mois. De multiples facteurs sont en jeu ici, et il serait réducteur de n’en citer qu’un. Or, il est essentiel de repérer certains problèmes majeurs pour trouver des solutions qui pourraient nous inciter à adopter plus de comportements prosociaux. Quant à notre utilisation excessive des écrans, des applications et des services comme Netflix, c’est une habitude forgée par notre penchant pour la facilité. Quels facteurs environnementaux, structuraux et sociaux pourrions-nous repenser pour transformer radicalement nos villes en des milieux qui favorisent les connexions humaines?
Les effets sur la santé mentale
On ne peut aborder sérieusement la question de l’isolement social sans parler d’un facteur qui lui est intimement lié : la hausse des diagnostics de maladies mentales.
C’est l’éternel paradoxe de la poule et l’œuf : les troubles mentaux alimentent les sentiments et les comportements d’isolement, ce qui empire souvent les symptômes d’origine. Par ailleurs, dès le départ, les personnes qui sont socialement isolées sont plus à risque* de développer une maladie mentale.
Chaque année, 20 % des Canadiens sont touchés par des problèmes de santé mentale. Au cours de sa vie, une personne aura 70 % de risques de souffrir d’une maladie mentale. Pour ce qui est de l’avenir, au Canada, on s’attend à ce que près de 8,9 millions de personnes soient atteintes de troubles mentaux d’ici 2041. Et même au-delà des individus concernés, les problèmes de santé mentale ont des conséquences pour l’ensemble de la société. Une étude de 2010 estime que les coûts liés aux maladies mentales s’élèvent à 50 milliards de dollars par année pour l’économie canadienne, et on s’attend à ce qu’ils dépassent 2,5 milliers de milliards de dollars au cours des trente prochaines années.
Toutefois, malgré l’ampleur et la prévalence impressionnantes des maladies mentales, il est important de considérer que les troubles mentaux comportent souvent des composantes sociales et biologiques, que l’environnement bâti peut influencer (et améliorer). Voici des mesures de protection possibles :
Le facteur de l’âge
Autre point à considérer : nous devons concevoir l’environnement bâti pour les groupes de personnes qui sont particulièrement vulnérables à l’isolement social et dont la mobilité est réduite. Au Canada, la tranche de la population la plus à risque est certainement celle des personnes âgées.
L’Organisation mondiale de la santé estime que la part de la population âgée de 60 ans et plus passera de 11 % en 2006 à 22 % en 2050 dans le monde. En 2016, pour la première fois de son histoire, le Canada a recensé plus de personnes âgées de 65 ans et plus que d’enfants âgés de 14 ans et moins. Quant à l’avenir, on s’attend à ce que, d’ici 2056, les ainés représentent jusqu’à 30 % de la population canadienne.
En misant sur une planification proactive, nous pouvons créer un environnement bâti qui renforce la résilience chez les populations âgées. Nous pouvons envisager, par exemple, de planifier le développement de types d’habitations variés (dont les maisons de retraite), de concevoir des villes adaptées aux ainés, de réaliser des travaux publics qui améliorent l’accessibilité et la sécurité des ainés dans les espaces publics, d’améliorer les systèmes de transport collectif afin de rendre les services de santé et le magasinage plus accessibles pour les résidents qui ne peuvent plus conduire et de créer plus d’espaces extérieurs récréatifs adaptés aux personnes âgées.
Les inégalités en matière de mobilité
Quel que soit le nombre de ressources communautaires et de mesures de soutien mises en place, leur efficacité sera limitée si l’on n’y a pas accès de manière commode et fiable. Les systèmes qui nous permettent de nous déplacer en ville, de nous rendre au travail, à l’école, à nos activités récréatives et de participer à nos réseaux sociaux jouent un rôle essentiel pour créer plus de connectivité entre les personnes.
La mobilité est associée à la santé mentale et à la santé physique de nombreuses manières. Ainsi, en apportant certaines modifications stratégiques à nos conceptions, nous pouvons les améliorer toutes les deux.
D’après une étude* réalisée à Turin, en Italie, il existe un lien direct entre la mobilité et la santé mentale. Les gens qui vivent dans des quartiers « défavorisés » (sur le plan de la qualité des transports collectifs, entre autres) semblent plus susceptibles de souffrir de dépression.
Par ailleurs, la mobilité a de nombreux bienfaits indirects sur la santé mentale, qui sont généralement associés à l’utilisation des transports collectifs, du fait que les usagers sont amenés à faire plus d’activité physique pour se déplacer en transport en commun. L’activité physique que les usagers font pour prendre les transports collectifs a un effet positif sur leur bien-être psychologique en raison des endorphines supplémentaires que leur corps produit en faisant de l’exercice.
La mobilité crée aussi un milieu plus propice aux interactions sociales en personne, ce qui, d’après les études, s’avère bénéfique pour la santé mentale.
Un autre avantage évident est de nature économique, car le fait de disposer d’un bon réseau de transport améliore et augmente l’accès aux possibilités en matière d’emplois et d’éducation. L’accès accru à un réseau social élargi et les gains globaux en capital social sont autant d’autres avantages d’investir dans le transport en commun, en plus des bienfaits pour la santé mentale qui y sont associés. Des études ont démontré une corrélation entre un fort capital social et la baisse des taux de dépression*. On peut donc s’attendre à ce qu’un meilleur réseau de transport collectif améliore la connectivité sociale et le capital social en facilitant l’accès physique des gens aux réseaux sociaux.
Influencer les comportements
On considère parfois la conception de l’environnement bâti comme un « incitatif comportemental » quand elle sert à optimiser la commodité, la santé et les perspectives positives et à influencer les choix sociaux. Cet incitatif comportemental peut être appliqué de manière subtile et indirecte, par exemple, en concevant des réseaux de transport collectif bien connectés qui permettent aux gens d’accéder à des emplois de qualité. On peut également l’appliquer de manière plus directe avec l’intention d’influencer des mesures très précises plutôt que d’atteindre des objectifs généraux.
L’ajout de caractéristiques physiques, comme le marquage au sol et les empreintes de pas pour diriger le flux des piétons, est un exemple de conception incitative. La Commission de transport de Toronto (TTC), entre autres, a mené un projet pilote* de cette nature. Le projet The Fun Theory* de Volkswagen est un exemple similaire, qui nécessite encore moins de logistique. L’entreprise a converti un escalier public en touches de piano fonctionnelles et a remarqué que cela incitait bien plus les piétons à utiliser l’escalier que l’escalier mécanique.
Ces exemples ouvrent la voie à des possibilités infinies. En faisant des choix de conception intelligente qui influencent notre manière d’agir, nous pouvons favoriser l’adoption de comportements plus prosociaux. Il est possible d’inciter subtilement les gens à avoir plus d’interactions sociales en concevant des espaces qui favorisent de telles interactions, et cela peut être très efficace. Des espaces prosociaux peuvent susciter des sentiments d’appartenance à la communauté et accroitre de différentes manières* les degrés de confiance, l’empathie et la confiance en soi. En outre, il est pertinent d’étudier en quoi les conceptions « ludiques » au sein des espaces prosociaux peuvent faire évoluer les comportements des gens.
Nous disposons de tous les outils nécessaires pour briser l’isolement social; il suffit de les mettre en œuvre. En combinant toutes sortes de petits changements, nous pouvons créer des villes plus connectées où non seulement la qualité de vie s’améliore, mais où également les populations s’épanouissent.