De nos jours, les réserves mondiales d’eau sont fortement sollicitées. Le défi lancé aux pays et aux régions du monde entier est de trouver de meilleures solutions afin de remédier à la pénurie d’eau. Selon les Nations Unies, ce concept peut être défini comme une pénurie de disponibilité en raison d’un manque physique ou une pénurie d’accès due à l’incapacité des institutions à assurer un approvisionnement régulier en eau ou au manque d’infrastructures adéquates1. L’emplacement géographique, la culture et l’économie locale sont également des facteurs qui influent sur l’accès à l’eau et sur sa disponibilité. Ajoutez à cela les effets des changements climatiques et le problème devient encore plus complexe. L’augmentation de l’utilisation des ressources en eau vient accentuer l’importance de mieux gérer la demande émanant des populations, des industries et de l’environnement. Nous nous sommes entretenus avec Mike Woolgar, directeur de la stratégie hydraulique chez WSP Royaume-Uni, pour discuter du rôle essentiel que jouent les réservoirs naturels pour assurer un approvisionnement durable en eau partout dans le monde.
Comment décririez-vous la relation actuelle entre les réservoirs naturels et l’état des réserves mondiales en eau?
Mike Woolgar : De nombreuses activités humaines ont contribué au fil du temps à endommager les réservoirs naturels, tels que les lacs, les étangs et les aquifères, provoquant le drainage des étangs et des marais, la canalisation des rivières qui fait qu’elles se déversent rapidement dans la mer au lieu de permettre la recharge des réservoirs naturels, la pollution des cours d’eau et des lacs au point de les rendre difficilement utilisables, et la surexploitation des nappes phréatiques. De plus, la croissance démographique et les effets des changements climatiques risquent fort probablement de transformer la distribution des pluies, sinon leur volume brut réel. Nos réservoirs sont donc de plus en plus sollicités.
Depuis toujours, les populations ont tendance à puiser au sein des réservoirs naturels comme si ceux-ci étaient sans fond, mais c’est loin d’être le cas. Nous devons reconnaitre la valeur de l’eau et le coût associé à sa surutilisation et rembourser une partie de notre dette en restaurant les réservoirs. Il est crucial de réapprovisionner les réseaux afin de réduire leur fragilité et ainsi assurer un meilleur équilibre entre l’offre et la demande, en n’oubliant pas les besoins de tous à long terme.
Il n’y a que du positif à la restauration des réservoirs : c’est bénéfique pour les populations, la flore et la faune, ainsi que pour l’environnement en général. Un milieu hydrique en santé est essentiel à une eau de bonne qualité, utile et abordable, et en quantité suffisante. Pour atteindre ce but, nous devons tous veiller à ce que les sources d’eau soient exemptes de pollution et ne soient pas surexploitées. Nous devons aussi comprendre comment les sources interagissent entre elles au sein des réseaux hydrographiques, ce que j’appelle la grande toile mondiale de l’eau.
Pouvez-vous nous parler plus en détail de ce concept de grande toile mondiale de l’eau?
Mike Woolgar : Tous les aspects de nos vies sont étroitement liés à la disponibilité de l’eau. Nous avons besoin d’elle en quantité et en qualité adéquates, et ce, au bon moment et au bon endroit. On ne saurait imaginer une activité qui ne dépende pas du mouvement, du traitement, de la gestion ou de l’utilisation de l’eau. Directement ou indirectement, une utilisation en affecte une autre. Nous devrions donc voir l’eau au quotidien comme une grande toile mondiale interconnectée et interdépendante.
Quand la quantité d’eau disponible dépasse les besoins, notamment pour la consommation, l’hygiène, et les autres usages domestiques, ou pour les secteurs industriel et agricole ainsi que nécessaires à un environnement fonctionnel, on a tendance à oublier les interdépendances de la toile. Mais lorsque la demande se rapproche dangereusement de l’offre disponible, ou pire, lorsque la demande dépasse la disponibilité, alors les fils de la toile se font concurrence, preuve de la fragilité du réseau. Les facteurs affaiblissants sont alors évidents : le fait d’exploiter plus de ressources d’un côté du réseau entraine une réduction de la disponibilité de l’autre. Les tensions et les contraintes attirent l’attention sur une consommation inconsciente, qui fait obstacle à des résultats durables. Une capacité de stockage suffisante au sein du réseau contribue à créer un écosystème durable favorisant un approvisionnement en eau abordable et de quantité satisfaisante.
La situation peut être bien différente d’un endroit à l’autre. Il est moins urgent d’apporter des changements là où il existe un excédent important par rapport à la demande qu’aux endroits où la disponibilité de l’eau est réduite. Par exemple, j’ai discuté il y a de cela quelques années avec un brasseur qui avait conçu une norme dans le but de réduire la consommation en eau par litre de bière produit. Cependant, en voulant l’appliquer, il a découvert que des investissements encore plus grands étaient nécessaires au Pérou pour assurer son approvisionnement en eau et garantir que les fermes maraîchères de la région ne seraient pas affectées par les activités de sa brasserie, tandis qu’en République tchèque, des investissements visant à réduire la consommation d’eau n’étaient pas nécessaires et auraient plutôt eu l’effet d’accroitre les coûts et la consommation énergétique dans une région où l’eau est abondante.
Une bonne gestion mondiale de l’eau est importante pour conserver une plus grande réserve d’eau dans l’environnement global et ainsi créer un coussin entre notre consommation et les réserves disponibles. Une consommation responsable permet à l’environnement naturel de continuer à prospérer, nous offrant la possibilité, lorsque nous faisons face à une période de sécheresse prolongée, de puiser un peu plus d’eau sans pour autant tomber dans la surexploitation.
Quels pourraient être les effets des changements climatiques sur les réserves en eau?
Mike Woolgar : Les effets diffèrent en fonction de l’ampleur et du type des changements climatiques affligeant chaque région. Par exemple, les réservoirs naturels d’eau situés sur les terres basses près du littoral pourraient être submergés au fil du temps par la montée du niveau de la mer. De plus, la variation prévue des précipitations modifiera le rythme et le volume des écoulements des rivières. Des études du British Geological Survey et du UK Centre for Ecology & Hydrology2 démontrent que les réserves des nappes phréatiques au Royaume-Uni pourraient être affectées. Toutefois, cet impact dépend fortement de la manière dont les changements climatiques influenceront l’intensité des précipitations ainsi que leur distribution au cours de l’année. Les effets des changements climatiques sur la température et la saison de croissance se répercutent sur l’absorption d’eau des plantes qui, à son tour, peut affecter l’emmagasinement de l’eau dans le sol et l’écoulement fluvial.
Comment réapprovisionner les réservoirs pour soutenir une alimentation en eau durable?
Mike Woolgar : De toutes sortes de façons, que ce soit à petite ou à grande échelle, surtout si l’on définit les réservoirs au sens large. Nous devrons réapprovisionner les réservoirs naturels et probablement y ajouter de nouveaux réservoirs ou, moyennant un coût énergétique et un coût en carbone, recourir au dessalement des eaux puisées depuis l’ultime réservoir, la mer. Parmi les efforts pouvant être déployés pour améliorer la rétention en eau, on peut citer la restauration des zones humides, des tourbières et du cours naturel des rivières. Une telle restauration a d’ailleurs été grandement bénéfique au Royaume-Uni. En augmentant le volume d’eau en réserve, la restauration permet la réduction des émissions de carbone. De plus, la quantité supplémentaire d’eau conservée dans « l’éponge » est libérée lentement dans les cours d’eau permettant ainsi un prélèvement plus fiable de la ressource en eau pour son traitement.
Pour réduire la consommation et permettre à une plus grande quantité d’eau de rester dans le réseau, tout le monde doit prendre conscience de l’eau qu’il gaspille.
Pour éviter de puiser l’eau des rivières, des lacs et des réservoirs éloignés, les ménages ont la possibilité de capter les précipitations grâce à un réservoir à même leur terrain. En Nouvelle-Zélande, par exemple, environ 10 % des familles déclarent consommer l’eau de pluie ainsi captée3. D’ailleurs, de nombreux ménages partout dans le monde dépendent de puits et de sources naturelles pour recueillir de l’eau à des fins domestiques. Il est possible d’améliorer la capacité de stockage de ces systèmes naturels en captant davantage de précipitations.
Si tous les jardiniers en herbe installaient des réceptacles pour eau de pluie et se servaient de cette eau pour arroser leur jardin, les réserves additionnelles ne tarderaient pas à augmenter. Cela permettrait de puiser une quantité moindre d’eau dans le réseau d’aqueduc municipal.
Le Royaume-Uni a quant à lui perdu un grand nombre d’étangs. Auparavant, chaque village avait son étang pour abreuver le bétail et les autres animaux, mais au fil du temps, plusieurs de ces étangs ont été remblayés. Heureusement, le nombre d’étangs au pays est de nouveau en augmentation4. Bien que l’eau de ceux-ci ne serve plus à des fins domestiques, leur réapprovisionnement est bénéfique pour l’environnement et les réservoirs naturels en général.
Dans les pays en développement, les barrages de sable suscitent un vif intérêt5. Il s’agit de barrières laissant passer l’eau construites en travers de rivières saisonnières permettant de capter le sable et les autres matériaux du lit des rivières. Ainsi, l’eau est retenue dans les dépôts sablonneux pendant un certain temps après la dernière crue. Cette eau contribue à augmenter les niveaux de la nappe phréatique locale, assurant par le fait même un accès à l’eau pour un certain temps lors de la saison sèche. En rechargeant la nappe phréatique, on évite de puiser de l’eau plus profondément dans le sol. Le Kenya compte aujourd’hui un grand nombre de ces barrages de sable.
Comment les grands consommateurs d’eau, tels que les secteurs agricole et industriel et les services publics, pourraient-ils bonifier leurs pratiques afin d’assurer un meilleur équilibre entre l’offre et la demande?
Mike Woolgar : Les grands consommateurs d’eau, tels que ceux du secteur agricole, pourraient adopter une pratique aratoire antiérosive qui, dans les sols adéquats, peut entrainer une réduction des pertes et augmenter la rétention en eau des sols. Ils pourraient aussi construire des réservoirs à même leur ferme pour capter les écoulements fluviaux excessifs en hiver. Le secteur industriel pourrait recycler une plus grande quantité d’eau en réduisant les volumes puisés dans l’environnement et en gardant des réserves d’eau sur place, dans leur installation de recyclage. Les services d’eau publics pourraient, moyennant un coût bien sûr, construire de nouveaux réservoirs ou installer de nouveaux transferts d’eau permettant d’acheminer de l’eau depuis des zones où les réserves en eau sont en excès vers des zones arides. Ils pourraient aussi réduire les fuites et les pertes émanant des réseaux d’alimentation, et ainsi, permettre à un plus grand volume d’eau de demeurer dans le réseau.
Compte tenu de la complexité de la grande toile mondiale de l’eau, quels conseils donneriez-vous aux gens et aux communautés pour les guider dans leur réflexion sur la manière de faire face à la pénurie d’eau?
Mike Woolgar : On pourrait penser que d’utiliser légèrement moins d’eau chaque jour est un acte sans grand impact, mais si tout le monde s’y met, l’incidence peut être significative. Lorsque l’on aborde la question collectivement, certaines interventions peuvent être coûteuses, notamment le remboursement de la dette environnementale mentionnée plus tôt. Cependant, il est essentiel de mettre en place la bonne combinaison d’interventions qui tiendront compte des besoins d’aujourd’hui et de demain pour assurer la disponibilité durable de l’eau, et ce, dans le monde entier.
1 Nations Unies, www.unwater.org (en anglais seulement)
2 JACKSON, Christopher R., MEISTER, Rakia, et Christel PRUDHOMMEL. « 2011 Modelling the effects of climate change and its uncertainty on UK Chalk groundwater resources from an ensemble of global climate model projections », Journal of Hydrology, 399 (1-2), p. 12-28. (en anglais seulement)
3 Building Research Association of New Zealand (Branz) (en anglais seulement)
4 Countryside Survey Technical Report 7/07, janvier 2010 (en anglais seulement)
5 The Water Project, www.thewaterproject.org (en anglais seulement)