Une immense quantité de marchandises est transportée par bateau. En 2019, plus de 11 milliards de tonnes ont été transportées, soit environ 90 % de toutes les marchandises mondiales. Leur poids est l’équivalent de 33 522 Empire State Building. Si les expéditions ont connu une légère baisse en raison de la COVID‑19, le volume des échanges commerciaux maritimes internationaux devrait augmenter à un taux annuel moyen de 3,5 % d’ici 2024 en raison de la croissance du commerce mondial. Qu’il s’agisse de vrac solide (p. ex. grain et minerai), de vrac liquide (p. ex. pétrole et gaz naturel liquéfié), de téléviseurs grand écran dans des conteneurs ou de marchandises générales (p. ex. marchandises diverses, voitures et machinerie lourde), ce commerce dépend d’une flotte marchande mondiale d’environ 98 000 navires cherchant à charger et à décharger rapidement et en toute sécurité leur cargaison dans un réseau portuaire international.
Comme il faut un capital important pour construire et exploiter un port, les propriétaires et les exploitants comptent sur la rapidité d’exécution pour maximiser leurs profits. Il faut aussi que la livraison juste‑à‑temps soit efficace afin de soutenir le réseau de chaîne d’approvisionnement mondial. Un obstacle clé à l’atteinte de cet objectif est le temps d’immobilisation au poste d’amarrage, c’est-à-dire le temps total que le navire passe au port lorsqu’il est incapable de charger ou de décharger la cargaison.
Causes du temps d’immobilisation au poste d’amarrage
Une défaillance de l’équipement sur le navire ou au port, une perturbation du réseau de transport intérieur ou des facteurs humains peuvent entraîner l’immobilisation au poste d’amarrage. Toutefois, les causes prédominantes sont les suivantes.
1. Vents et vagues
Les forces exercées par les vagues, les vents et les courants amènent le navire à quitter sa position prévue au poste d’amarrage. Les forces et les mouvements du navire qui en résultent ont habituellement une composante statique et une composante dynamique. La magnitude de ces forces dépend de ce qui suit :
- la taille et le tirant d’eau du navire;
- la hauteur et la période des vagues au poste d’amarrage;
- la vitesse des vents;
- la vitesse des courants;
- l’orientation du navire par rapport à la direction des vagues, des vents et des courants;
- la profondeur de l’eau au poste d’amarrage.
Dans certains ports, un navire immobilisé à un poste d’amarrage peut subir des forces et des mouvements importants à la suite de perturbations hydrodynamiques produites par l’entrée d’un autre navire dans le port ou par sa sortie du port. L’occurrence et l’ampleur des forces dynamiques causées par le passage d’un navire, qui sont déterminées par des paramètres comme la taille du navire, la vitesse du navire et la distance de passage, ont cependant une incidence plus grande que les forces générées par les conditions météorologiques. Le passage d’un navire peut néanmoins entraîner une période d’immobilisation et est un facteur important à considérer au moment de la conception d’un nouveau poste d’amarrage.
2. Mouvements du navire et charge des amarres
Afin d’arrimer le navire et de restreindre ses mouvements en réaction aux forces environnantes, les amarres (des cordes) du navire sont attachées à des bornes ou à des crochets d’amarrage installés sur des structures fixes du poste d’amarrage. Dans certains ports, les amarres sont attachées à de grandes bouées flottantes, qui sont à leur tour ancrées au fond marin à l’aide de lourdes chaînes. Lorsque le navire accoste une structure rigide comme un mur de quai ou une plateforme de chargement, des défenses sont placées entre la coque du navire et la structure fixe pour servir de coussin élastique. Habituellement, les amarres et les défenses forment le système d’amarrage.
Lorsque les conditions météorologiques se détériorent, par exemple quand la vitesse des vents ou la hauteur des vagues augmente, le chargement ou le déchargement s’effectue moins efficacement ou les opérations de manutention de la cargaison peuvent même s’arrêter complètement à la suite d’au moins l’un des deux événements suivants :
- les mouvements (déplacements, vitesses et accélérations) du navire dépassent les paramètres de fonctionnement sûr de l’équipement de manutention de la cargaison;
- la tension dans les amarrages ou la force de compression dans les défenses dépassent les valeurs permises.
Dans le premier cas, lorsque la manutention de la cargaison n’est plus sûre, les opérations sont temporairement interrompues pendant que le navire demeure immobilisé au poste d’amarrage. Dans le second cas, cependant, les amarres doivent être détachées, et le navire doit quitter le poste d’amarrage et jeter l’ancre en eaux libres, jusqu’à ce que les conditions météorologiques s’améliorent. Cela entraîne des coûts d’exploitation encore plus élevés, puisque des remorqueurs sont habituellement nécessaires pour escorter le navire à destination et en provenance du poste d’amarrage et puisqu’il faut plus de temps pour reprendre les opérations une fois que les conditions météorologiques se sont améliorées.
Estimation du temps d’immobilisation au poste d’amarrage
Il est crucial au début d’un projet portuaire de prédire le type, la fréquence et la durée des événements entraînant l’immobilisation aux postes d’amarrage, car ce paramètre détermine la viabilité financière du port. Il donne également un aperçu des processus qui ont une incidence sur les temps d’immobilisation et contribue à trouver des solutions pour l’atténuer le plus possible.
Pour qu’un concepteur de port puisse fournir des conseils persuasifs aux propriétaires et aux exploitants de port pendant les périodes d’immobilisation aux postes d’amarrage, il faut qu’il ait accès à une expertise dans un éventail diversifié de sujets, y compris la météorologie, la statistique, l’hydrodynamique des vagues en eaux profondes et en eaux peu profondes, l’architecture navale; les forces exercées sur les corps flottants; le comportement non linéaire des amarres et des défenses; l’interaction sol‑ancre et la dynamique des corps flottants.
L’analyse des temps d’immobilisation aux postes d’amarrage comporte plusieurs phases.
1. Définir les conditions opérationnelles liées à la météorologie océanique
Les conditions de la météorologie océanique opérationnelles ou quotidiennes à l’emplacement proposé des postes d’amarrage décrivent l’ampleur des vagues et des vents et leur variabilité avec le temps. Il s’agit habituellement d’un relevé des caractéristiques des vents et des vagues à intervalles horaires au cours des 20 à 30 dernières années. D’autres paramètres de la météorologie océanique, comme l’élévation des marées, les courants, la température de l’air et de l’eau et les précipitations, peuvent aussi avoir une incidence sur les temps d’immobilisation aux postes d’amarrage en fonction de certains types de ports et de cargaison.
L’assemblage de données sur la météorologie océanique peut en tant que tel comporter de multiples tâches :
- la collecte de données de terrain;
- les levés bathymétriques et l’utilisation du système d’information géographique pour les côtes;
- la simulation rétrospective et la transformation des vagues;
- la modélisation des niveaux d’eau et de la circulation des courants;
- les effets des changements climatiques.
2. Détermination de la configuration des postes d’amarrage
Le choix d’une disposition adéquate des postes d’amarrage (par exemple des structures maritimes, des composantes du système d’amarrage et de sa configuration) dépend de plusieurs critères, dont la profondeur de l’eau, la taille des navires, le type de cargaison, la capacité visée et les conditions de la météorologie océanique.
3. Analyse des mouvements des navires et des forces exercées sur le système d’amarrage
La prévision des temps d’immobilisation aux postes d’amarrage se fonde sur des estimations des conditions de seuil de la météorologie océanique au-delà desquelles les opérations de manutention des marchandises sont interrompues. Les méthodes utilisées comprennent la modélisation numérique et les tests sur des modèles à l’échelle.
4. Analyse des statistiques sur les temps d’immobilisation aux postes d’amarrage
L’analyse des temps mensuels et annuels d’immobilisation aux postes d’amarrage à l’aide de données sur la météorologie océanique et des seuils d’exploitation peut fournir une orientation sur la capacité portuaire réalisable et les répercussions commerciales des retards liés aux conditions météorologiques.
Comment réduire les temps d’immobilisation aux postes d’amarrage
Voici des directives visant à accroître la fiabilité des estimations des temps d’immobilisation aux postes d’amarrage et à réduire ces temps en fonction des leçons que j’ai retenues en contribuant à des projets portuaires au cours des 26 dernières années.
- Éviter de sous-estimer la valeur de la collecte de données de terrain durant la phase de faisabilité. Un programme de mesures de la météorologie océanique sur le site portuaire permet de valider les modèles de simulation rétrospective et de transformation des vagues et d’accroître grandement la fiabilité des estimations des temps d’immobilisation aux postes d’amarrage. Cela est particulièrement important dans les zones côtières où les modèles numériques peuvent ne pas représenter entièrement l’ampleur de phénomènes comme les ondes infragravitaires, qui peuvent amplifier les mouvements des navires aux postes d’amarrage. Un investissement précoce relativement modeste peut empêcher les coûts d’exploitation d’augmenter considérablement dans l’avenir.
- Changer l’emplacement ou l’orientation des postes d’amarrage, ou explorer d’autres sites portuaires, si possible. Les modèles numériques de transformation des vagues et des mouvements des navires sont puissants parce qu’ils permettent à l’ingénieur d’évaluer rapidement s’il existe dans le secteur général à l’étude un emplacement de postes d’amarrage offrant un meilleur abri naturel, ou si un simple changement d’orientation du navire amarré permet d’atténuer sa réponse dynamique aux forces des vagues.
- Envisager d’utiliser la plus récente technologie de systèmes d’amarrage. Les rudiments de l’amarrage des navires aux postes d’amarrage n’ont pas changé depuis des siècles. Cependant, de nouveaux matériaux et de nouvelles technologies permettent de réduire les mouvements des navires dans des conditions plus difficiles. Par exemple :
- utiliser des amarres faites de fibres de polyéthylène haut module (HMPE) (p. ex. DyneemaMC), qui sont 15 fois plus résistantes et 8 fois plus légères que les fils d’acier de même taille. L’extensibilité réduite, la grande rigidité et la grande résistance des fils DyneemaMC permettent d’augmenter les conditions de seuil de la météorologie océanique et de réduire les temps d’immobilisation aux postes d’amarrage;
- utiliser des systèmes d’amarrage automatisés qui font appel à divers systèmes électriques et mécaniques gérés par ordinateur pour accroître l’amortissement et ainsi réduire les mouvements des navires. Le coût en capital des systèmes d’amarrage automatisés est beaucoup plus élevé que celui des systèmes ordinaires, mais, dans de nombreux cas, l’accroissement de la capacité portuaire qui en résulte peut rapidement compenser l’investissement initial. Dans le passé, j’ai programmé des modules logiciels complémentaires pour des programmes d’analyse des mouvements de navires commerciaux (p. ex. ANSYS AQWAMC) afin de simuler l’efficacité des systèmes d’amarrage automatisés. J’ai de plus conseillé des clients sur la question de savoir si une telle technologie peut être avantageuse pour leur projet portuaire.
- Optimiser l’emplacement et la longueur des brise‑lames. Pour certains sites portuaires exposés, les conditions de la météorologie océanique et les exigences relatives à la capacité portuaire peuvent nécessiter l’ajout d’un brise‑lames afin d’abriter les postes d’amarrage. Les brise‑lames peuvent entraîner des changements marqués dans la circulation du courant côtier, l’échange des eaux et le déplacement des sédiments. Ils ont donc une empreinte écologique importante. Il est possible d’optimiser la configuration du brise‑lames à l’aide de la modélisation numérique et de tests effectués dans un bassin de simulation de vagues afin d’atteindre la capacité visée tout en réduisant au minimum les coûts et l’impact sur les environs.
- Augmenter le stockage des produits dans les installations d’exportation. Dans certains ports, il est possible d’atteindre les cibles de capacité annuelle même s’il y a des périodes d’inactivité saisonnières prolongées durant certains mois. À titre d’exemple, une analyse des temps d’immobilisation aux postes d’amarrage et une simulation à événements distincts des processus intervenants dans la production, le transport, le stockage et le chargement de minerai de fer d’une mine à un port peuvent permettre conjointement de déterminer la taille des stocks requis au port. Cela assure le maintien de la production de minerai à la mine même si, temporairement, les navires ne sont pas chargés au port. Après que les conditions météorologiques se sont améliorées, les stocks accumulés peuvent passer à un volume habituel par l’augmentation du nombre de navires arrivant au port. Cette méthode permet également d’établir un horaire d’arrivée des navires, ce qui réduit considérablement le risque de retards causés par les conditions météorologiques et les frais de surestaries connexes.
- Tout surveiller. Le comportement dynamique d’un navire à un poste d’amarrage est fortement affecté non seulement par le type de système d’amarrage utilisé, mais aussi par la façon dont l’équipage du navire déploie et entretient les amarres lorsque le navire est immobilisé au poste d’amarrage. À mesure que les conditions environnementales (vagues, vents, courants et niveau des marées) et que le tirant d’eau du navire changent, certaines amarres deviennent plus tendues, alors que d’autres peuvent même se relâcher. Ces deux situations entraînent des mouvements accrus du navire, une surcharge des amarres (ou même leur bris) et une augmentation des temps d’immobilisation aux postes d’amarrage. Les instruments au port servant à la surveillance en continu des charges du système d’amarrage et à leur communication à l’équipage permettent de maintenir le bon niveau de tension préalable dans les amarres et d’améliorer grandement l’exploitation du navire. La surveillance au port des conditions de la météorologie océanique permet aussi d’améliorer la sécurité et l’efficacité des opérations de manœuvre des navires.
Au moment d’aménager un nouveau port ou d’agrandir un port existant – qu’il s’agisse de construire un nouveau port pour l’exportation de concentrés de cuivre au Chili ou d’approfondir un quai de porte-conteneurs en Suède, le faisant passer de 14 à 19 mètres de profondeur pour accueillir des navires de plus grande taille –, il est impératif de prendre en considération les cibles de capacité et les temps d’immobilisation aux postes d’amarrage. Comprendre les enjeux et les répercussions peut aider les parties prenantes à l’exploitation du port à déterminer la meilleure façon de réduire au minimum les temps d’immobilisation sans augmenter considérablement les dépenses en capital ou affecter l’empreinte écologique des installations. La présente analyse donne un aperçu de la diversité et de la complexité des processus en jeu et peut habiliter les propriétaires et les exploitants de port à prendre des décisions rentables, ce qui peut permettre de réduire les temps d’immobilisation aux postes d’amarrage et, au bout du compte, de maximiser la capacité du port.
à propos de l'auteur
Sundar Prasad, Ph.D., est spécialiste sénior des travaux maritimes et de la météorologie océanique chez WSP. Il compte 26 ans d’expérience mondiale des études de la météorologie océanique, de l’élaboration de critères de conception de la météorologie océanique, de l’analyse des mouvements du navire et de l’amarrage dynamique, de l’installation des ports, des simulations de navigation et des évaluations de la disponibilité des postes d’amarrage. M. Prasad contribue actuellement au groupe de travail 212 de l’Association internationale de navigation (AIPCN), dont le mandat est de mettre à jour les directives existantes [anglais seulement] au sujet des critères régissant les mouvements acceptables des navires aux postes d’amarrage.
* Ce travail a été effectué par les professionnels de Golder qui se sont joints à WSP dans le cadre d’une acquisition réalisée en 2021.