Dans les pays développés, nous utilisons les ressources naturelles et nous polluons l’environnement bien au-delà des capacités de la Terre. Si les peuples du monde entier adoptaient le même style de vie que les Canadiens, nous aurions besoin de 4,79 planètes Terre* pour soutenir nos modèles de consommation, d’après l’outil de comptabilité sur l’empreinte écologique. Dissocier l’utilisation des ressources épuisables des progrès sociaux et économiques doit être une priorité, car nos ressources seront limitées à l’avenir.

C’est un défi de taille. Le Canada prospère depuis des siècles grâce à l’abondance de ses ressources, à la richesse de sa nature exceptionnelle et, plus récemment, à l’expansion de ses centres urbains. Actuellement, les ressources naturelles constituent 17 % du PIB du Canada, assurent 1,82 million d’emplois directs et indirects et représentent 236 milliards de dollars ou 47 % des exportations de marchandises du pays. Compte tenu de ces données, est-il souhaitable, nécessaire, voire possible, d’utiliser en moins grande quantité les ressources qui assurent la vigueur de notre économie?
La réponse est oui, et il n’est jamais trop tôt pour commencer à le faire. Les modèles de production et de consommation mondiaux actuels ne sont pas durables. 90 milliards de tonnes de ressources naturelles sont extraites chaque année pour répondre aux besoins de la société et on s’attend à ce que ce chiffre double d’ici 2050*. La population mondiale devrait atteindre 9,7 milliards en 2050 et, d’ici là, près de 3 milliards de personnes devraient passer de la pauvreté à la classe moyenne, et en adopter les habitudes de consommation. Au total, la demande de ressources limitées pourrait atteindre 400 % de la capacité totale de la Terre en 2050*.
Nous devons modifier la façon dont nous valorisons, consommons et gérons nos ressources pour répondre aux besoins des populations futures, protéger l’environnement et garantir la stabilité de l’économie en la dissociant des fluctuations du marché des ressources. Nous devons également tenir compte à la fois des besoins à venir et des besoins actuels. Comment pouvons-nous commencer à mettre en place des pratiques plus durables pour demain, sans créer de perturbations majeures aujourd’hui? L’adoption d’une économie circulaire pourrait être la réponse.
Le bien-fondé de l’économie circulaire
L’économie circulaire est une économie réparatrice et régénératrice par nature. Elle dissocie les activités économiques de l’utilisation des ressources limitées et elle élimine la création de déchets dans le système* pour fermer la boucle.
Le modèle de consommation linéaire habituel (qui est le modèle en place, dans la plupart des cas) repose sur un cycle de vie de type « extraire, transformer, jeter ». Nous puisons dans les ressources de la Terre, nous les modifions et les adaptons, nous les utilisons et parfois nous les réutilisons tout en altérant leur qualité, puis nous les rejetons dans la nature sous forme de déchets non biodégradables. Dans une économie circulaire, les matériaux conservent leur valeur plus longtemps. Leur niveau de qualité reste le même dans de multiples cycles d’utilisation, ce qui permet d’utiliser les produits et les installations de façon adaptable et flexible. Certains matériaux peuvent même gagner de la valeur au cours de leur cycle de vie. Par exemple, le verre qui, à force d’avoir été utilisé, s’est dégradé à tel point qu’il n’est plus recyclable peut être transformé en billes qui sont dotées d’une faible densité et d’une grande force structurale. Ces billes peuvent alors servir de granulats pour la construction de chaussées, en remplacement de la roche, et parfois permettre de réduire les coûts.

Les villes sont un point névralgique des cycles de ressources. Elles consomment jusqu’à 80 % des ressources naturelles mondiales et produisent 50 % des déchets mondiaux et 75 % des émissions de gaz à effet de serre*. Peut-on adopter une économie circulaire dans l’environnement bâti pour tirer au maximum profit des ressources qui existent déjà et accroitre la valeur du cycle de vie des nouvelles ressources? Bien entendu, même si cela dépend de la durée de vie des matériaux une fois qu’ils sont immobilisés. Passons en revue les étapes du cycle de vie du modèle économique linéaire habituel.
Redéfinir les matières premières
Nous avons tendance à penser l’extraction comme le moment où les matières premières sont extraites directement de la Terre. Or, dans un modèle économique circulaire, la phase d’« extraction » peut se passer de matières premières vierges. Pensons aux solutions qui permettent de réutiliser des matières premières existantes qui, autrement, seraient considérées comme des déchets, par exemple les poutres en acier des bâtiments, le bois ou encore les granulats utilisés pour construire les chaussées. En utilisant la modélisation des données du bâtiment lors des étapes de conception et de construction et en intégrant les « passeports des matériaux* », on peut repérer les matériaux utilisés et en faire le suivi avec précision, y compris en ce qui a trait à leur durée de vie, à leur charge et à leur contenu. Par exemple, on peut associer numériquement tous ces renseignements à une poutre en acier structurale afin que son utilisation et sa réutilisation puissent faire l’objet d’une décision éclairée.
Un bon exemple de cette modélisation est le cabinet d’architecture Superuse Studios aux Pays-Bas, qui utilise l’application Google Earth pour repérer les déchets industriels et connaitre la disponibilité des ressources utilisées pour concevoir ses projets. La Villa Welpeloo a été conçue par ce cabinet à partir de 60 % de matériaux de récupération* qui, autrement, auraient été détruits ou jetés. Certaines entreprises fabriquent des « matières premières » au moyen de déchets inhabituels. Par exemple, les bioplastiques sont créés à partir de sous-produits animaux et certaines routes sont bâties avec des déchets plastiques et du « bois » provenant de journaux, mais dans la plupart des cas, cette approche ne fait que prolonger la durée de vie des matériaux, sans toutefois éliminer leur fin de vie.
Repenser l’utilisation des matériaux
Les besoins de la société évoluent rapidement, ce qui rend nos installations urbaines inutilement obsolètes, désuètes et sujettes à une fin de vie précoce. Forte de ce constat, IKEA a commencé à offrir des meubles à louer* ainsi qu’à racheter et à revendre des meubles usagés pour prolonger leur durée de vie et leur valeur. Pour limiter le gaspillage des ressources dans l’environnement bâti, nous pouvons adopter une approche de conception modulaire dans laquelle les bâtiments et les installations peuvent évoluer et leurs matériaux être recyclés en fin de vie*. Les bâtiments modulaires et flexibles peuvent être modifiés au cours de leur cycle de vie et la valeur de leurs ressources peut être maintenue, tandis qu’ils répondent à des besoins changeants. Par exemple, les plaques de planchers et les ferrures adaptables qui permettent de sous-diviser un bâtiment et qui offrent des possibilités d’interactivité et de flexibilité au fil du temps peuvent prolonger la durée de vie d’un bâtiment*. L’édifice de la mairie de Brummen, aux Pays-Bas, peut être démantelé et déplacé; c’est aussi le premier bâtiment à posséder un passeport de matériaux*.
Le fait de créer des produits et des pièces à la demande et sur place permet d’améliorer les méthodes de construction et de réduire grandement le transport et le stockage des matériaux ainsi que la production des déchets. La conception en fonction de la déconstruction est une technique qui vise à gérer de manière responsable les bâtiments en fin de vie afin de réduire l’utilisation des matières premières. D’après l’Agence des États-Unis pour la protection de l’environnement*, il semblerait que la valeur d’un bâtiment « ne dépende pas de ses matériaux de construction en tant que tels, mais des caractères fonctionnels de la protection que ces matériaux offrent une fois qu’ils sont assemblés ensemble. C’est pour cette raison que les matériaux conservent plus de valeur lorsqu’ils sont démontés et réutilisés que lorsqu’ils sont recyclés. » [Notre traduction]. Cela pourrait inclure, entre autres, les ferrures plutôt que les soudures pour les structures en acier, les sections qui s’emboitent l’une dans l’autre, les fenêtres facilement amovibles et les composants mécaniques et électriques.
Repenser la fin de vie des ressources
Dans une ville qui utilise un modèle économique circulaire, la « fin de vie » des ressources n’existe pas, même si, dans les faits, il s’agit plutôt d’étendre significativement leur durée de vie. Les installations, qu’il s’agisse de routes ou de feux de circulation, sont mises en service et entretenues de façon à employer les ressources efficacement et à prolonger leur durée utile. Les bâtiments sont rénovés ou modifiés et on adapte leur usage et leur fonctionnement pour qu’ils répondent à de nouveaux besoins. Quand nous savons quels matériaux sont utilisés pour concevoir un bâtiment, ceux-ci constituent un dépôt de ressources*, plutôt qu’un ensemble de déchets destinés à être démolis. Lorsque les ressources atteignent la fin de leur cycle actuel, l’économie circulaire permet de les recycler à leur plus grande valeur possible au sein de la chaine d’approvisionnement de façon à ce qu’elles circulent indéfiniment. Par exemple, certaines entreprises* commencent à concevoir des matériaux de construction de chaussée à partir de déchets plastiques non recyclables qui, autrement, auraient été incinérés ou enfouis. À plus petite échelle, mais non des moindres, les résidus alimentaires des entreprises locales ou des résidences peuvent servir à créer du compost qui peut être directement utilisé par l’agriculture urbaine locale (ce qui, en soi, présente une multitude d’avantages).

Boucler la boucle de l’économie circulaire
Prévenir l’éventuel manque de ressources ainsi que la fluctuation des marchés et les interruptions dans la chaine d’approvisionnement qui y sont associées pourrait permettre de créer plus de 4,5 billions de dollars d’activité économique mondiale d’ici 2030*. Nous avons encore beaucoup à faire pour en arriver là. À l’heure actuelle, certaines entreprises et certains pays, en particulier en Europe, ouvrent la voie en considérant les tendances à venir comme des facteurs clés des actions qu’ils mènent aujourd’hui. Le Canada doit encore mettre en place une stratégie d’économie circulaire complète qui encourage les collaborations et les nouveaux modèles d’affaires, qui sont déterminants pour faire progresser l’économie circulaire des autres régions. Le changement ne pourra avoir lieu que si les mentalités des intervenants de tous les secteurs évoluent. Il faut adapter les politiques et les lois et structurer les modèles d’approvisionnement et de financement d’une nouvelle manière. La création et l’adoption de modèles d’entreprise favorisant l’établissement d’une économie circulaire révolutionneront nos cycles de ressources, aujourd’hui comme demain.
L’économie circulaire repose également sur une vision systémique de la manière dont nous valorisons nos ressources. Elle permet de réduire les incidences sur l’environnement, de stimuler les activités commerciales et de faire progresser l’économie. Elle améliore la productivité et la santé de la société, accroit la durée de vie et la fonctionnalité de notre environnement bâti et protège les économies des marchés de ressources volatiles.
* Les liens marqués d’un astérisque ne sont disponibles qu’en anglais.