La décennie qui a commencé en 2020 est un véritable tournant décisif dans la poursuite de la décarbonation à l’échelle mondiale, un symbole de l’effort concerté de lutte contre les changements climatiques et de la transition vers un avenir durable sobre en carbone. L’objectif ambitieux d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050 a ouvert la voie à des changements transformateurs.
Cependant, la trajectoire vers cet avenir vert s’est heurtée à des défis inattendus et a ajouté des couches de complexité à une mission déjà ardue.
Cet article analyse ces complexités et offre une lueur d’espoir pour une transition énergétique coordonnée à l’échelle mondiale.
La prise de conscience de la décennie : faire face aux perturbations
La première perturbation notable du programme de décarbonation a été l’incidence imprévue de la pandémie de COVID-19. Les profondes implications économiques et sociales de cet événement ont détourné l’attention et les ressources des priorités environnementales.
Au moment où la reprise après la pandémie reprenait de l’élan, les instabilités géopolitiques ont ajouté de nouvelles pierres d’achoppement sur la voie de la décarbonation. En conséquence, les tensions entre les principales économies mondiales ont compliqué la coopération internationale sur les initiatives climatiques.
Aussi, les différends persistants à propos des ressources, des déséquilibres commerciaux et des priorités politiques ont retardé les efforts unifiés visant à réaliser des progrès significatifs. En outre, les perturbations de la chaîne d’approvisionnement mondiale ont révélé les vulnérabilités du secteur des énergies renouvelables et ont mis en évidence les risques associés à une chaîne d’approvisionnement interconnectée à l’échelle mondiale. Tous ces événements ont contribué à créer une situation macroéconomique complexe, caractérisée par des coûts élevés pour le développement de projets d’énergie propre.
Pendant ce temps, notre planète continue de se réchauffer. Rien qu’en 2023, nous avons assisté à des températures record et à des phénomènes météorologiques extrêmes dans le monde entier. La sonnette d’alarme est tirée; un récent rapport de Copernicus (en anglais seulement) suggère que 2023 pourrait être l’année la plus chaude jamais enregistrée, à la suite de hausses des normales observées en octobre.
Les premières années de cette décennie ont permis de prendre conscience que la transition vers un avenir sobre en carbone est sans aucun doute ardue. Malgré cela, persévérer malgré les perturbations, se montrer résilient face aux perturbations et faire avancer la transition est essentiel, qu’il y ait ou non des perturbations.
Face à ces défis, l’impératif n’est pas seulement de naviguer à travers les vents contraires, mais aussi de les exploiter comme des occasions de progrès. Ce faisant, la communauté mondiale peut non seulement atteindre les objectifs de carboneutralité d’ici 2050, mais aussi construire une fondation plus solide et durable pour les générations futures. Les leçons apprises et les progrès réalisés au cours de cette décennie charnière peuvent servir de modèle et de référence pour naviguer dans les méandres d’un monde en mutation rapide tout en atténuant les risques et les effets des changements climatiques.
Révéler les vulnérabilités pendant et après la tempête
Les conséquences de la pandémie ont indéniablement mis en lumière les vulnérabilités inhérentes aux chaînes d’approvisionnement mondiales. Le réseau complexe de systèmes interconnectés, qui semblait autrefois robuste, a révélé sa fragilité sous la pression sans précédent d’une crise sanitaire mondiale. Cette révélation a, à son tour, souligné l’importance cruciale de la sécurité énergétique et a conduit à la nécessité de réévaluer la dépendance à l’égard des sources d’énergie traditionnelles. D’où la nécessité croissante de diversifier et d’explorer des sources d’énergie de remplacement et plus résistantes. La recherche de la sécurité énergétique va donc de pair avec l’atténuation des risques et l’intégration de la flexibilité dans nos systèmes énergétiques. Alors que le monde s’aventure dans une arène de nuances géopolitiques continues, ces principes sont impératifs pour maintenir l’adoption de nouvelles énergies.
Cependant, la transition vers des sources d’énergie de substitution n’est pas sans poser de nombreux problèmes, en particulier dans notre conjoncture économique. Les coûts associés aux efforts de décarbonation sont amplifiés dans de telles conditions, ce qui constitue un obstacle majeur au progrès. Les incertitudes économiques découlant de ces perturbations ont soulevé des questions légitimes quant à la possibilité de maintenir l’élan vers une énergie plus propre, d’autant plus que les priorités économiques immédiates peuvent diverger des objectifs de développement durable à long terme.
Le chemin vers les progrès de la transition énergétique
Des progrès ont été accomplis au cours de cette décennie. Les projets d’énergie renouvelable dépassent les technologies à fortes émissions de carbone lorsqu’il s’agit de nouveaux projets de construction. Les gouvernements du monde entier ont mis en place des politiques et des programmes incitatifs pour les investissements dans les énergies propres; presque toutes les grandes organisations multinationales ont des stratégies et des objectifs ESG. Les consommateurs sont prêts à payer plus cher si cela permet de soutenir les initiatives visant à sauver la planète; et l’innovation est considérée comme un précurseur du modèle « Conçu pour l’avenir » des entreprises prêtes pour l’avenir.
Mais il reste encore beaucoup à faire pour combler le fossé qui sépare l’engagement de la réalisation.
Malgré les engagements mondiaux en faveur de la décarbonation, les progrès n’ont pas été à la hauteur des attentes initiales. Cet écart est préoccupant, compte tenu de l’urgence de la crise climatique. La reconnaissance de cet écart entre les aspirations et les réalisations est cruciale, car elle ouvre la voie à une évaluation plus réaliste de la situation. Les perturbations susmentionnées font obstacle aux plans soigneusement élaborés pour un avenir durable, mettant en évidence l’interconnexion des problèmes mondiaux.
Une tendance particulièrement inquiétante est le retrait de certaines entreprises des investissements dans les énergies propres. Cette évolution soulève des questions sur le développement durable de la transition énergétique et souligne l’équilibre délicat entre les intérêts économiques et la responsabilité environnementale. La crainte est que, sans un engagement ferme des entreprises, l’élan vers la décarbonation s’essouffle, mettant en péril les efforts collectifs de lutte contre les changements climatiques.
Pour aller de l’avant, nous devons nous poser la question suivante : Comment la décennie qui a commencé en 2020 peut-elle devenir la décennie de référence en matière de décarbonation? Il s’agit d’un appel à l’action invitant les acteurs à repenser leurs stratégies, à collaborer à l’échelle mondiale et à innover face à l’adversité. Le terme « décennie de référence » implique un tournant décisif, soulignant la nécessité de réaliser des progrès concrets et substantiels dans la course pour lutter contre la crise climatique.

De l’engagement à l’action
L’ampleur de la tâche consistant à respecter les engagements en matière de réduction des émissions nécessite un effort global et coordonné de la part de tous les acteurs concernés dans l’élaboration des plans et la mise en œuvre des solutions. Voici quelques-unes des mesures qui pourraient être prises collectivement :
Mettre en lumière toutes les émissions : lorsque l’information est affirmée et visible, la responsabilité et la connaissance sont améliorées. Faire la lumière sur les émissions peut aider à mettre en évidence les implications des changements climatiques, à communiquer les avantages de la réduction des émissions à tous les acteurs, à définir des objectifs et à établir des cadres de gouvernance transparents.
Éliminer les risques des projets et des programmes d’énergie propre : les gouvernements mondiaux doivent intervenir et affiner les politiques, les réglementations et les programmes de financement. Pour ce faire, il ne suffit pas d’atténuer les risques liés au projet, mais de mettre en place une boucle de rétroaction positive et continue. Alors que les communautés insistent sur la réduction des émissions grâce à des solutions énergétiques abordables, les gouvernements doivent réagir en mettant en place des politiques solides. Cela pourrait à son tour rendre les projets énergétiques bancables et attirer des investissements pour débloquer davantage d’innovations et de solutions économiques qui réduisent les émissions. Les acteurs de l’industrie doivent également jouer un rôle de transformation. Des partenariats de collaboration, des investissements responsables et un engagement commun sont essentiels pour atténuer les risques.
Multiplier la mise en œuvre des technologies existantes : de nombreuses technologies actuelles et émergentes peuvent contribuer à répondre aux attentes en matière d’énergie propre. L’électrification en profondeur a le potentiel de décarboner de nombreuses applications, y compris les transports et les procédés industriels. Par ailleurs, les programmes d’efficacité énergétique et de rénovation des bâtiments sont également bien placés pour un déploiement rapide des technologies.
Développer les technologies prometteuses : il est reconnu que l’électrification ne peut à elle seule répondre à toutes les applications à fortes émissions de carbone. C’est pourquoi de nombreuses technologies nouvelles et moins nouvelles trouvent des applications commerciales, telles que l’hydrogène, la capture et la séquestration du carbone, le gaz naturel renouvelable, les biocarburants, le stockage de l’énergie à court et à long terme et les petits réacteurs modulaires (PRM). L’hydrogène présente un potentiel énorme pour les secteurs difficiles à décarboner, mais très peu de projets en sont au stade de la décision finale d’investissement. Dans un monde incertain, des décisions doivent être prises pour tirer parti de ce potentiel de manière accélérée.
Innover en matière de modèles d’entreprise et de solutions : il n’existe pas de voie unique vers une transition énergétique plus propre. Chaque pays doit suivre sa propre voie pour prendre des décisions éclairées et à long terme, tout en s’associant à un front uni en vue d’une transition rapide. Les pays doivent s’appuyer sur des données probantes concernant l’orientation des marchés de l’énergie, la maturité des technologies et les besoins de leurs citoyens. Cela nécessite des solutions et des modèles d’entreprise innovateurs. L’innovation dans les technologies énergétiques propres est toujours essentielle. En outre, il est essentiel de continuer à investir dans les « talents verts » afin d’innover de meilleures solutions en matière de décarbonation et de gestion du méthane.
Supprimer les obstacles à l’octroi de permis et autres obstacles au développement de projets : les retards dans la mise en œuvre des politiques, les obstacles bureaucratiques et la résistance au changement ont entravé le déploiement rapide de pratiques durables. L’urgence de la crise climatique nécessite des processus rationalisés, des décisions politiques audacieuses et un engagement en faveur d’une action immédiate. L’un des principaux obstacles auxquels se heurtent actuellement les technologies établies ou émergentes est le temps nécessaire à l’obtention des permis et autres approbations après la décision d’investissement finale. Le monde n’a pas le luxe de disposer de longs délais pour l’élaboration des projets. C’est un domaine où les gouvernements peuvent intervenir pour réformer les réglementations et supprimer les obstacles sans compromettre la sécurité, la fiabilité et l’accessibilité financière.
Obtenir l’acceptation par une transition centrée sur l’humain : en fin de compte, la transition implique des personnes qui interagissent avec d’autres personnes pour garantir un monde plus propre. Plus l’éducation sera poussée, plus le consensus sur l’adoption de nouveaux modèles énergétiques sera popularisé et plus les solutions proposées seront acceptées, plus l’état d’esprit collectif sera favorable aux efforts de décarbonation.
Par essence, le voyage vers une « décennie de référence » de décarbonation nécessite un effort uni, où les gouvernements, les industries, les investisseurs et les communautés convergent pour relever le défi omniprésent des changements climatiques.
Transformer les vents contraires en vents arrière
Les perturbations actuelles, en cours et à venir, jettent indéniablement une ombre sur l’objectif ambitieux de la décarbonation.
Cependant, dans l’adversité, des leçons précieuses ont été tirées.
Par exemple, lorsque la sécurité de l’approvisionnement a été menacée par plusieurs perturbations récentes et en cours, les nations ont fait de la sécurisation de l’énergie une priorité et ont accéléré leurs efforts pour trouver des sources de remplacement. Cela s’est traduit par l’exploration de différentes technologies et la réévaluation des corridors commerciaux ou des accords bilatéraux préexistants afin de renforcer les nouveaux canaux d’approvisionnement.
Les gouvernements doivent donner la priorité aux investissements verts, les acteurs de l’industrie doivent aligner leurs stratégies sur les objectifs de développement durable, les investisseurs doivent canaliser les fonds vers des projets écoresponsables et les communautés doivent jouer un rôle plus actif pour assurer une transition énergétique réussie et opportune.
La décennie qui a commencé en 2020, malgré les défis qu’elle représente, constitue un moment charnière pour redéfinir la trajectoire de la décarbonation mondiale. Le renforcement de la résilience nécessite un changement de paradigme : s’adapter aux circonstances imprévues, tirer les leçons des échecs et renforcer les réseaux contre les chocs futurs font partie intégrante d’une stratégie de décarbonation résiliente.
Si nous parvenons à intégrer collectivement l’état d’esprit « Un second souffle de résilience », un monde plus écoresponsable pour les générations futures est à portée de main.