L’ajout de salles de commande vides et la réduction de la durée de vie théorique de la conception demandent un certain changement de mentalité pour les concepteurs formés à penser à l’efficacité de l’espace ou habitués à des conceptions plus durables offrant le meilleur rapport qualité-prix. Le concept de résilience remet en question plusieurs facettes de notre modèle de pensée actuelle, notamment le fait que certaines mesures prises pour atténuer les changements climatiques pourraient ne pas correspondre à la nécessité de s’adapter aux nouvelles conditions.
La Suède est à l’avant-garde mondiale de la construction de bâtiments efficaces; leur étanchéité et leur isolation améliorées réduisent considérablement leur demande énergétique, notamment de chauffage en hiver. Or, Håkan Nilsson, consultant en physique du bâtiment chez WSP à Stockholm, indique qu’un nouveau problème sans précédent se pose, alors que les étés sont plus de plus en plus chauds. « Bon nombre de ces bâtiments extrêmement étanches et isolés surchauffent de façon phénoménale jusqu’à des températures internes pouvant atteindre les 30 °C. De surcroit, comme notre climat est également plus humide, la moisissure devient un enjeu de plus en plus répandu ».
Les solutions pour les nouveaux bâtiments sont assez simples, comme l’augmentation de la ventilation et une meilleure utilisation de la masse thermique permettant d’égaliser les écarts de température entre le jour et la nuit. « L’ombre est également essentielle », ajoute M. Nilsson. « Les possibilités sont nombreuses : des fenêtres plus profondes, l’utilisation de balcons pour ombrager les fenêtres en dessous ou l’installation de pare-soleil. Malgré tout, les gens construisent encore des boites en verre hermétiques avec trop de potentiel en apport solaire. Nous ne pouvons pas moderniser bon nombre de nos bâtiments existants avec des pare-soleil, car cela n’est pas autorisé par les réglementations locales d’urbanisme, qui les jugent trop laids ou ne correspondant pas au style architectural. Par contre, pour moi, un beau bâtiment accommode ses usagers de façon optimale. »
Apprendre de la catastrophe
Une modification de la réglementation peut devenir nécessaire si les concepteurs veulent contribuer pleinement à un avenir plus résilient. C’est ce qu’affirme Vivienne Ivory, spécialiste en sciences sociales, directrice technique de WSP Opus en Nouvelle-Zélande et chercheuse spécialisée en santé publique et en environnements urbains à l’Université d’Otago. Vivienne Ivory a mené une étude sur la façon dont la ville de Christchurch se remet de ses deux récents tremblements de terre, ce qui en dit beaucoup sur la façon dont la société réagit aux catastrophes. « Bien qu’il ne s’agisse pas d’un événement lié au climat, la destruction d’habitations et d’infrastructures ressemble à bien des égards à ce à quoi il est possible de s’attendre à mesure que les événements météorologiques extrêmes, comme les cyclones et les inondations, deviennent plus fréquents », souligne-t-elle.
L’étude a révélé que différentes parties de la ville se rétablissent à des rythmes différents. Par exemple, les zones où il était possible de marcher ou de faire du vélo pour se rendre aux magasins ou au travail sont plus appréciées que celles où la voiture est nécessaire. « L’une des choses qui a fait une grande différence, c’est l’espace », mentionne Mme Ivory. « Les parcs et les espaces publics sont devenus des lieux où les gens se sont réunis et se sont mobilisés pour le rétablissement de la ville. L’espace a permis la création de fonctions contextuelles afin de remplacer les commodités qui avaient été perdues et cela a fonctionné à tous les niveaux. Nous avons même vu un morceau de trottoir libre où un vieux meuble de réfrigération avait été transformé en une bibliothèque temporaire où il était possible d’échanger des livres gratuitement. Ainsi, l’espace qui avait initialement servi de refuge lors de la catastrophe a ensuite été utilisé pour aider la ville à se rétablir socialement. » Sa conclusion est que la résilience d’une ville nécessite à la fois une connectivité locale « et peut-être des compromis sur les règles d’utilisation de l’espace public ».
Il se trouve que l’espace est également un outil particulièrement efficace pour créer une résistance aux inondations. « Les villes contiennent de grandes quantités de surfaces imperméables et de fortes pluies peuvent rapidement surcharger le drainage des eaux pluviales existant », déclare Enrico Isnenghi, directeur technique et expert en gestion de l’eau chez WSP à Londres. « Les infrastructures vertes publiques comme les parcs, les terrains de jeux et les étangs ou les lacs peuvent tous fournir un espace vital pour que l’eau puisse s’accumuler et s’écouler, la conservant en toute sécurité et loin des bâtiments et des infrastructures essentiels. »
Les infrastructures vertes offrent les avantages supplémentaires d’augmenter la biodiversité, de réduire l’effet d’ilot thermique urbain et d’offrir des commodités de grande qualité dont les citoyens peuvent profiter. « Je crois que les municipalités et les autres intervenants oublient parfois certaines choses », affirme M. Isnenghi. « Le fait que le financement pour la protection contre les inondations ne soit souvent pas structuré pour permettre de prendre en compte ces avantages supplémentaires n’aide pas. »
Rares sont ceux qui contesteraient les avantages que confèrent de vastes espaces ouverts et des infrastructures vertes, mais les terrains dans les villes sont soumis à une concurrence féroce de nombreuses utilisations. La plupart des métropoles du monde sont de plus en plus densément peuplées et verront leurs espaces non aménagés diminuer plutôt qu’augmenter. C’est un autre exemple où l’atténuation et l’adaptation semblent s’opposer. « Le fait est qu’il existe de bonnes raisons de densifier une ville », déclare Iain White, professeur de planification écologique à l’Université de Waikato en Nouvelle-Zélande et spécialiste des risques et de la résilience. « Cela permet une utilisation des terres, des transports et une répartition des services publics plus efficaces et offre de nombreux avantages liés à l’atténuation des changements climatiques. Les décideurs politiques subiront toujours des pressions pour utiliser l’espace “libre” pour autre chose, comme des logements sociaux. Cependant, que vous fassiez de la place pour l’eau au-dessus du sol ou dans le sol au moyen de tuyaux ou de stockage, un terrain de jeu coûte généralement beaucoup moins cher que la construction de nouvelles infrastructures. »